Dans un Congo ravagé par des conflits meurtriers depuis des années, sur fond de sauvage exploitation des ressources naturelles par les pays occidentaux et de pauvreté endémique, quelle place reste-t-il pour le journalisme? À première vue loin des criantes priorités, l’accès à l’information est pourtant le poumon de ce qui détermine la justice sociale et la sécurité: la démocratie. Déjà fragile, la voilà étouffée par la précarité des journalistes. Selon qu’ils sont dans l’appareil étatique ou non, ceux-ci sont livrés à une précarité sauvage ou à un contrôle à peine moins indigent.

Le paysage médiatique congolais est très diversifié. Il compte  plus d’une quarantaine de radios dont des radios publiques, privées, locales, communautaires et rurales. Plus d’une vingtaine de télévisions  publiques et privées sont basées à Brazzaville et à l’intérieur du pays. La presse écrite (publique et privée) compte une cinquantaine de journaux, parmi lesquels le quotidien indépendant Les Dépêches de Brazzaville, qui tire à plus de quinze mille exemplaires et un bihebdomadaire catholique, La Semaine Africaine, qui a été créé en 1952 et a un tirage de 10000 exemplaires. En plus de tout cela, il faut compter la presse cybernétique, les blogueurs ainsi que la presse étrangère.

Ce paysage médiatique est encadré juridiquement par deux lois: la  loi n°8-2001 du 12 novembre 2001, sur la liberté de l’information et de la communication et celle n°15-2001 du 15 décembre 2001, relative au pluralisme dans l’audiovisuel public. À celles-ci s’ajoutent la Charte des professionnels de l’information et de la communication, la convention collective et le code de la presse qui contribuent à l’élargissement de l’encadrement juridique de cette presse.

La jungle du secteur privé

Dans la presse privée où l’on compte environ 250 agents, les journalistes sont précarisés, avilis et clochardisés. «Ils n’ont pas suffisamment de moyens, ne disposent pas de bonnes conditions de travail et encore moins de facilités de transport, déplore Edouard Adzotsa, président de la Fédération des syndicats des travailleurs du Congo (Fesytrac). En dehors des entreprises de presse comme La Semaine Africaine, Les Dépêches de Brazzaville, l’Imprimerie Saint Paul, l’Imprimerie Presse Auguste, et le Groupe MNCOM, qui ont immatriculé leur personnel à la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS), les autres organes de presse ne l’ont pas encore fait et les journalistes sont engagés sans contrat de travail. La Radio Liberté ne paie pas du tout les journalistes qui y travaillent. Ceci entraîne l’observation de plus en plus de la dégradation progressive de l’éthique dans la profession.» 

«Cette situation est très dangereuse pour la liberté de presse et d’expression, affirme-t-il. Il ne peut pas y avoir de liberté de presse si les journalistes exercent leur profession dans un environnement de corruption, de pauvreté et de crainte. Nombreux sont ces propriétaires et responsables de médias qui ne sont pas résolument motivés à faire appliquer la convention collective pour leurs travailleurs.»

«Il y a lieu de reconnaître qu’au Congo, les journalistes jouissent de la liberté d’expression, malgré quelques égarements dus à la non observation des règles déontologiques, au manque de formation et à l’inexpérience», confie un cadre du Conseil supérieur de la liberté de communication (CSLC). «Depuis 2001 et jusqu’à ce jour, les journalistes congolais ne sont plus jetés en prison pour délit de presse. Quelques incompréhensions dans l’interprétation des textes existent entre l’organe régulateur des médias (le CSLC) et les promoteurs des médias privés, d’où la suspension au mois de mai 2013 de quatre journaux par cette instance pour non-respect des normes déontologiques», affirme-t-il.

Les syndicalistes font savoir que du côté du gouvernement, on hésite à accorder la subvention de l’État aux médias privés, ce qui ne facilite pas la parution régulière des journaux sur le marché. De même, certains journaux ont disparu par manque de soutien financier. De 50 journaux enregistrés il y a quelques années, seuls 15 continuent à paraître tant bien que mal.
«Il faut avouer qu’il n’y a pas de véritables entreprises de presse au Congo. En effet, la plupart des stations de radios et de télévisions sont détenues par des hommes politiques et de hauts fonctionnaires. Du coup, on assiste à un manque d’engouement, de rendement et de performance chez les journalistes», reconnaissent-ils.

Journalisme en cage pour l’État

«La plupart des journalistes congolais sont dans le secteur public, explique Edouard Adzotsa. On compte environ 1987 journalistes agents de la fonction publique congolaise. Cette catégorie de fonctionnaires de l’État est régie par la loi n° 021-89 du 14 novembre 1989, portant sur le statut général des agents de la fonction publique.»

Placés sous le contrôle de l’État, ces journalistes bénéficient de conditions à peine moins précaires que celles du secteur privé. «Un statut particulier en vigueur depuis 1982 accorde des avantages financiers au personnel évoluant au ministère de l’Information et de la Communication», poursuit-il.

  • Indemnité de fonction (varie selon que l’on est directeur, chef de service ou chef de bureau): 22500 à 40000 francs CFA (FCFA) par mois, (entre 45$ et 80$ américains)
  • Prime de logement: 10000 FCFA/mois (20$ US)
  • Prime de production: 20% de l’indice
  • Prime de risque: 4000 FCFA/mois (8$)
  • Prime vestimentaire: 2000 FCFA/mois (4$)
  • Prime de conduite de véhicules spécialisés: 2000 FCFA/mois (4$)
  • Prime de panier de 2000 FCFA/mois (4$)
  • Prime de salissure de 2000 FCFA/mois (4$)

Selon plusieurs journalistes, le statut particulier des journalistes en vigueur depuis octobre 1982 est devenu désuet. La Fesytrac a entamé des négociations avec le gouvernement depuis 2010 pour obtenir une revalorisation des salaires, ainsi que des indemnités et primes. Les négociations globales ouvertes entre le gouvernement et les syndicats le 22 avril 2013 à Brazzaville, la capitale, sont favorables aux revendications des journalistes travaillant dans la fonction publique ou les entreprises d’État.

Au niveau de la sécurité sociale, tous les agents sont couverts par la Caisse de retraite des fonctionnaires (CRF) ou la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS). Les journalistes travaillant pour le compte de l’État bénéficient en plus de congés de maternité, de paternité, de pensions de vieillesse, rente, retraites et pensions de maladie. Une allocation familiale de 5000 FCFA/mois (4,5$) est allouée à chaque enfant du salarié de l’État.
Une nécessité pour la démocratie.

«La Fesytrac sollicite de la part de ses partenaires une intense activité de formation des journalistes. Cela se justifie par le fait que le Congo vient de connaître un régime démocratique naissant qui requiert de nouveaux reflets journalistiques», conclut Eugène Gampaka, membre du bureau exécutif national de la fédération.

D’une superficie de 342000 km2, la République du Congo, indépendante depuis le 15 août 1960, est un pays d’Afrique Centrale. Avec une population estimée aujourd’hui à 4337051 habitants, elle a un PIB par habitant de 13677$.

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L’auteur est président du Syndicat des journalistes employés du Cameroun (SJEC)

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