Plus de 800 femmes sont attendues au Forum sur les États généraux de l’action et de l’analyse féministes, qui se tiendra à l’UQAM du 14 au 17 novembre prochain, dans la foulée d’un processus de réflexion entamé par la Fédération des femmes du Québec il y a deux ans et demi. Quatre séances de l’UPop Montréal ont été organisées en marge du forum. La dernière de la série a eu lieu mercredi dernier et portait sur «l’intersection des oppressions», un concept à la mode dans les universités et qui pourrait bien teinter les luttes à venir.

L’idée vient de l’expérience des Black Feminists aux États-Unis, marginalisées de toutes parts dans les années soixante, parce qu’elles étaient des femmes dans les luttes contre l’esclavagisme et parce qu’elles étaient noires dans le mouvement féministe.  «Ces femmes ont voulu développer une théorie qui colle à leur réalité»,  explique la professeure de science politique de l’UQAM, Geneviève Pagé.

Au fait d’être une femme peut s’ajouter le fait d’être noire, mais aussi d’être lesbienne, handicapée, pauvre, autochtone ou âgée, si bien qu’on ne sait pas toujours quelle oppression est à l’œuvre quand on se voit refuser une promotion. «Est-ce que c’est parce que je suis une femme ? Est-ce que c’est parce que je suis racisée ? C’est difficile de le savoir parce que toutes les oppressions agissent en même temps sur la vie d’une même personne», illustre Geneviève Pagé.

Malgré cela, l’intersection des oppressions refuse toute forme de hiérarchie des luttes, précise-t-elle. «Si on met de l’avant un féminisme raciste, capitaliste, ou âgiste, on tire dans le pied des femmes avec qui on devrait être en solidarité.»

Libérer l’une pour opprimer l’autre

Candidate au doctorat en sociologie à l’Université McGill, Anahi Morales donne l’exemple du travail domestique. Depuis 1992, le Programme des aides familiaux résidants permet à des ressortissants étrangers d’immigrer au Canada pour fournir une aide domestique aux ménages canadiens. Dans les faits, les aides familiaux sont en majorité des femmes. «Pour libérer du temps pour certaines femmes, il faut que d’autres quittent leur pays et leur famille pour effectuer un travail dévalorisé au Canada.»

Selon elle, même si le programme permet aux aides familiales d’obtenir la résidence permanente, il instaure une citoyenneté de seconde classe. «Ces femmes viennent travailler au Canada plusieurs années, mais elles n’ont pas les mêmes droits que les autres femmes, notamment en ce qui concerne la syndicalisation et la santé et sécurité au travail», explique-t-elle.

De la théorie à l’action

Comment l’analyse d’intersection des oppressions peut-elle se traduire en action dans le mouvement des femmes? Geneviève Pagé souligne l’importance de ne mettre aucune femme de côté. «Pendant qu’on avance les intérêts d’une catégorie de femmes, il ne faut pas ignorer ce qui se passe pour les autres. L’idée est d’inclure toutes les femmes dans nos revendications, pas juste celles qui nous ressemblent.»

Elle suggère par exemple d’élargir la revendication des femmes occidentales au droit à l’avortement à une idée plus large de justice reproductive. «Ce serait de passer d’une lutte pro-choix à une lutte qui prend en considération des pressions différentes sur le choix des femmes d’avoir ou non des enfants».  La stérilisation forcée des femmes autochtones et racisées, l’impossibilité pour les femmes seules et les lesbiennes d’avoir recours à l’insémination artificielle et le retrait de leurs enfants aux femmes incarcérées sont quelques-unes des pressions qui peuvent s’exercer sur le corps des femmes.

Si on veut toutes les inclure et à tout prix, la diversité des voix dans le mouvement féministe demeure-t-elle possible? «La diversité des réalités doit rester présente au moins dans la réflexion, mais il y a différentes façons de traduire cette réflexion dans l’action. Il faut tenir compte du contexte de lutte», croit Geneviève Pagé.

L’intersection des oppressions fera l’objet d’autres ateliers lors du Forum sur les États généraux de l’action et de l’analyse féministes la fin de semaine prochaine.