Retourner en Afghanistan pour y livrer une autre guerre: celle de fournir une information indépendante et juste qui donne une voix à ces gens trop souvent oubliés. Je me réveille alors qu’un rayon de soleil perce le hublot de l’avion. J’en suis heureux, d’ailleurs – l’époustouflant spectacle des montagnes mi-enneigées, mi-sablonneuses rappelle le paysage de la Terre du milieu de la trilogie du Seigneur des anneaux. Je m’en serais voulu de l’avoir raté.

Ce n’est pas une, mais deux secousses qui me traversent le corps alors que l’avion se pose sur le tarmac de l’aéroport international de Kaboul – le choc de l’atterrissage, bien sûr, mais aussi celui de revenir en Afghanistan plus de cinq ans après y avoir servi, dans une autre vie, comme militaire. Les moteurs de trois hélicoptères de combat russes lourdement armés vrombissent au-dessus de nos têtes, probablement de retour du champ de bataille.

De gros avions de transport, gardés par des soldats afghans, kalashnikov en position d’alerte, côtoient avec un contraste évident les quelques avions civils qui  jonchent le pavé devant le terminal d’accueil de l’aéroport. Des officiels afghans accueillent deux hommes occidentaux croisés à l’aéroport de Dubaï, vêtus en civil mais dont la carrure, les vêtements et le type de sac à dos laissent suggérer qu’ils appartiennent à une unité spéciale. Rien de certain, mais mes soupçons se confirment lorsque je ne les aperçois pas du côté du carrousel à bagages.

Donner la parole

Lorsque je quitte l’aéroport, une pléiade de souvenirs me reviennent alors que je scrute les environs de la ville depuis mon taxi. Kaboul ressemble un peu à Kandahar à certains égards, de l’architecture aux femmes arpentant les rues vêtues de leur burqa jusqu’à l’omniprésence de policiers et de soldats afghans qui opèrent les innombrables postes de contrôle routier.

Ce périple de deux semaines constitue un véritable retour aux sources pour l’ex-militaire qui s’accroche toujours à l’espoir d’avoir pu faire la différence dans ce pays qui, il y a une douzaine d’années à peine, subissait encore la terreur du régime des Talibans. Il me permettra de donner la parole à bon nombre de gens qui auront certainement un truc ou deux d’intéressant à dire sur l’avenir de leur pays. D’une politicienne bien en vue jusqu’à tous ces civils dont on ignore trop souvent la parole quant aux enjeux les touchant directement, je sais déjà que ce voyage ratissera large, sans compter ces nombreux sujets impromptus qui ne manqueront pas d’attirer mon attention et ma curiosité. Pas d’aventures prévues sur la ligne de front cependant – ce sera pour une prochaine fois.

Préparation et sécurité

Cette fois, c’est comme journaliste indépendant que je me rends en Afghanistan. Chercher à comprendre la guerre et à en raconter les conséquences plutôt que de combattre. La préparation fut la même que pour une patrouille de combat à l’époque: vérifications d’équipement sans fin, planification d’itinéraires et d’horaires au quart de tour, définition d’objectifs précis, plans de contingence en cas de problèmes, recherche d’un guide local fiable et bien réseauté, etc. Le financement fut mi-participatif, mi-individuel grâce à une campagne sur le site Indiegogo.

Je débarque à Kaboul et, malgré mon enthousiasme, je ne peux m’empêcher de penser à l’importance d’assurer ma sécurité. Le dernier rapport bimestriel sur la sécurité des journalistes en Afghanistan dresse un portrait plutôt pessimiste. Pas moins de 40 attentats ont été perpétrés contre des journalistes afghans durant la première moitié de 2013. Plusieurs journalistes occidentaux ont été victimes, dans les dernières années, de violences allant du kidnapping à l’assassinat. J’assure mes arrières, je maintiens un profil bas, je m’en remets aux conseils de mon guide afghan. Et, par-dessus tout, je me dois de me rappeler que je ne suis plus un soldat.

Mais malgré tout, il y a la mission, celle d’informer le public, de lui raconter ces histoires trop souvent négligées. De rappeler aux gens de chez nous que d’autres humains n’ont pas notre chance, de les sensibiliser à cette réalité que vivent tant d’humains qui ont droit, eux aussi, à un peu de dignité. Nous sensibiliser, c’est la meilleure voie pour réclamer un peu de changement. Et peut-être, espérons-le, trouver dans cet épais brouillard de guerre une ou deux histoires heureuses, un autre Afghanistan.

S’il est une chose que j’ai pu sauvegarder en quittant les rangs de l’armée, c’est un brin d’idéalisme. Les désirs, la volonté d’aider au changement sont les mêmes, la voie est cependant différente.

Espérons pouvoir y arriver. Inshaa Allah!