Le 26 novembre 2009, lors du dépôt d’une pétition citoyenne, le trifluvien Sébastien Bois a été banni à vie de l’Assemblée nationale du Québec pour «interruption des travaux parlementaires», après avoir lancé une pluie de carrés jaunes sur les députés en criant «On n’en a pas besoin, c’est aux Québécois de choisir!». La réfection par Hydro-Québec de la centrale nucléaire de Gentilly-2, à Bécancour, est toujours à l’ordre du jour. En cette période pré-électorale, nous avons rencontré celui qui s’oppose à ce projet controversé.

Jean-François Veilleux, journal Ensemble: Expliquez-nous la signification de votre geste et ce que vous a appris cette expérience.

Sébastien Bois: En août 2008, on annonce sans aucune consultation publique ni référendum chez la population locale la reconstruction de la centrale nucléaire Gentilly-2. Pourtant, la promesse libérale (préélectorale) était de ne pas aller de l’avant avec le nucléaire, selon une note écrite en 2003 de la main de Jean Charest. En conséquence, le mouvement CentricoisES et MauricienNEs pour le déclassement nucléaire (CMDN) fut fondé à la suite de cette annonce car nous sommes plus que des «contribuables», mais bien collectivement des propriétaires d’Hydro-Québec.

Notre regroupement déposa une pétition à l’Assemblée nationale. Lors de l’annonce en chambre et des discussions qui suivirent, force est de constater que les gens présents s’en balancent, sauf de rares exceptions et que ce n’est qu’un point varia à l’ordre du jour qui sera tabletté, empoussiéré. Nous avions investis beaucoup de temps et de cœur. Devais-je assister au spectacle étatique en fermant ma gueule? Mon geste fut donc plus que symbolique, car il a en effet perturbé et même interrompu l’institution parlementaire provinciale.

Des centaines de carrés jaunes en papier… Un tel dégât se ramasse, mais pas les substances toxiques rejetées quotidiennement par la centrale nucléaire G2. Plusieurs radionucléides s’accumulent dans la chaîne alimentaire. Curieusement, derrière l’ex-ministre des ressources naturelles (Nathalie Normandeau), Julie Boulet, elle aussi ex-ministre des ressources naturelles, fut responsable de l’annonce de la reconstruction de G2. Finalement, beaucoup d’«ex» et peu ou pas de responsables.

Suite à cet acte théâtral à saveur nucléaire, je fus banni de l’Assemblée Nationale du Québec. Néanmoins, je paye toujours mes impôts et demeure actionnaire contre mon gré de Gentilly-2, une entreprise d’État. (…)

J.F.V.: Le 31 janvier dernier, le ministre de l’environnement Pierre Arcand, de passage devant la chambre de commerce de Trois-Rivières, a entrouvert la porte qui mènerait enfin au déclassement de la centrale de Bécancour, plutôt qu’à sa réfection. Tout dépendrait du rapport financier d’Hydro-Québec, affirmait le ministre Arcand… qui ajoutait que «l’éolien, le solaire et l’hydro-électricité, voilà les options de l’avenir!» Que pensez-vous de la validité de cette déclaration?

S.B.: Mi-chaud, mi-froid. Depuis quelques mois, peu d’élus libéraux appuient sérieusement la centrale. Hydro-Québec a «relocalisé» des employés. Les rapports de sureté de différents pays et les études commandées par certains gouvernements, des suites de Fukushima, commencent à peser lourd dans la balance. Pour Arcand, la décision serait prise au printemps suite à une décision-discussion au conseil des ministres. La décision est bien sûr alimentée, entre autres par les bailleurs de fonds libéraux (pour ne pas nommer SNC-Lavalin, qui vient d’acheter Énergie Atomique du Canada en juin 2011) mais aussi par la résistance populaire toujours grandissante.

Il n’y a pas d’unanimité chez les commerçants et les industries sur le désir de la réfection. Plusieurs demeurent et travaillent dans la région. Ils se soucient eux aussi de leur richesse et de la protection de leur territoire à court et long terme. D’ailleurs, il n’y a aucune assurance privée qui assure un accident ou un «incident» nucléaire. Quel prix a notre santé et celle de notre famille?

Qui plus est, l’estimation des réserves d’uranium est d’environ 50-60 ans. Chiffre confirmé par un cadre de SNC-Lavalin. Le nucléaire, loin d’être l’avenir, s’avère être l’un des pires scandales économiques et scientifique après le capitalisme!

J.F.V: Quel est le lien entre le nucléaire et votre implication avec les Innus?

S.B: La collaboration avec les Innus fait suite à leurs revendications pour sortir du nucléaire en lien avec le Plan Nord. Ces communautés sont directement touchées par l’extraction de l’uranium, en partie utilisé comme carburant toxique de centrale nucléaire, pour la médecine nucléaire, mais surtout utilisé à des fins militaires. De fil en aiguille, l’ensemble de la filière nucléaire se recoupe et la famille «nucléaire» s’agrandie. Des liens se sont aussi tissés avec les Mohawks. Cela fait trois événements auxquels ils participent: visite en rabaska de G2, manifestation au forum sur le nucléaire au Godefroy et dernièrement, en janvier, ils sont venus à Champlain lors des soirées d’informations «Je sais quoi faire en cas d’urgence nucléaire».

Les alliances entre nos communautés se fondent, entre autre, sur la protection de notre habitat et sur la nécessité de travailler ensemble pour y faire face. Cela transcende la culture, la langue ou l’argent. En général, le désir des régions, des communautés autochtones et des citoyens est d’avoir un certain contrôle sur notre destinée, notre santé, l’éducation et la gestion de nos territoires. Notre convergence est écologique mais aussi politique, elle se veut clairement une opposition à l’immobilisme institutionnel. On n’attend plus après les représentants élus: les citoyens et les communautés ont le pouvoir de se représenter eux-mêmes… et de redéfinir le cadre politique actuel.

Pour revenir à G2, plusieurs citoyenNEs n’entendent pas lâcher prise, encore moins si le gouvernement donne son aval au projet. Le mouvement pour sortir le Québec du nucléaire est fort de plus de 15 000 pétitionnaires, plus de 320 municipalités (550 000 personnes), les communautés autochtones Innus, Mowhaks, Micmacs et Cris, des organismes, des groupes de citoyens (Sept-îles sans uranium, CMDN, Minganie sans uranium, Coalition pour que le Québec ait meilleure mine, Stop Uranium Baie-des-Chaleur), près de 40 artistes tels que Fred Pellerin, Isabelle Blais, Frédérik Bach, Michel Rivard, Richard Séguin, Diane Dufresne, des médecins, ingénieurs et économistes, tous les députés élus (NPD, Québec Solidaire, Jean-Martin Aussant d’Option Nationale, le PQ) sauf les libéraux et une adéquiste.

On ne parle pas d’un groupe de pression ou d’un OSBL mais d’un large mouvement citoyen, d’une population qui s’oppose à la rénovation de «leur» centrale nucléaire. Des habitants qui s’engagent bénévolement, sans intérêt pécunier, si ce n’est que d’en dépenser pour la protection et la mise en valeur de leurs territoires. Notre mouvement – porté par le cœur, la raison et la colère légitime – est un outil puissant devant des individus et des institutions désormais illégitimes.