Portés par des communautés qui avaient l’ambition de vivre en symbiose avec la nature, les éco-villages sont apparus comme l’une des solutions au développement durable. Malgré les essais ratés et les erreurs, cette idée novatrice suscite un intérêt sans cesse renouvelé au Québec comme ailleurs dans le monde. Pour ses défenseurs, il y a urgence à construire le monde de demain.

 « [Les êtres humains] ont droit à une vie saine et productive en harmonie avec la nature », stipulait l’Organisation des Nations Unies (ONU) dans la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement de 1992. Ce document marquant rappelait au passage que « toute personne doit préserver l’endroit où elle vit ». Trente ans plus tôt, les fondateurs des premiers éco-villages, ces communautés intentionnelles au mode de vie écologiste, mettaient déjà ces propositions en pratique.

Il aura tout de même fallu attendre jusqu’en 1995 pour qu’apparaisse le Global Ecovillages Network (GEN). Le réseau international a été lancé lors d’un sommet réunissant 400 personnes dont plusieurs Canadiens, au coeur de la communauté de Findhorn, en Écosse. Autonome au point de vue alimentaire et énergétique, ce projet-phare lancé en 1962 est le plus ancien éco-village d’Europe. Fait inusité, ses quelque 500 habitants habitent des maisons faites en fûts de whisky recyclés !

Il y a deux ans, le Montréalais Robert Bezeau a lancé le Plastic Bottle Village. Plus de 10 000 bouteilles de plastique ont été recyclées pour ériger un premier bâtiment sur l’île de Colon, au Panama.

Au total, 120 maisons sont prévues dans le Plastic Bottle Village. De quoi libérer la mer des Caraïbes de quelques déchets.

Des exemples à suivre

Leslie Carbonneau, l’une des rédactrices du répertoire des éco-communautés du Québec, considère qu’il y a « un mouvement important, en particulier de jeunes familles, qui retournent à la campagne à la recherche d’une meilleure qualité de vie, souvent dans des communautés dévitalisées. » La jeune femme souligne la réussite d’éco-communautés québécoises comme Cohabitat Québec, l’Éco-hameau de la Colline du Chêne et la Cité Écologique de Ham-Nord.

Installée depuis 34 ans dans la région des Bois-Francs, la Cité Écologique défie tous les pronostics : 10 éco-entreprises à même le site, une école alternative, une agriculture certifiée bio depuis 1984, près d’une centaine d’emplois créés.

En juin 2011, l’endroit accueillait la conférence annuelle organisée par le Réseau des éco-villages du Canada. Actuellement, 80 personnes habitent la Cité Écologique, ce qui en fait le plus grand éco-village québécois. Une trentaine de stagiaires internationaux et plusieurs centaines de visiteurs y passent chaque année.

La Cité s’est construite autour d’une école aux méthodes d’apprentissage alternatives. Les parents ont aidé à son élaboration et créé des entreprises à proximité pour assurer la survie économique de la communauté.

Forts de ce succès, des anciens habitants ont émigré dans le New Hampshire, aux États-Unis, pour fonder en 2003 un éco-village du même nom.

Aujourd’hui, la deuxième génération prend le relais dans la transmission de savoirs par le biais du Centre d’apprentissage en pratiques éco-communautaires. Fondé en 2014, c’est le seul endroit au monde où les formations en développement de communautés durables sont dispensées en français, souligne Nébesna Fortin, agente de développement durable à la Cité écologique.

Entre espoirs et déceptions

Comme tout projet innovant, les éco-villages ont été confrontés à des difficultés lors de leur construction. Certains ont échoué, faute de préparation, que ce soit au Québec, au Canada ou en Europe.

« La plupart des communautés intentionnelles bâties au Canada dans les années 90 n’a pas tenu », constate avec dépit Russ Purvis, président du Réseau des éco-villages du Canada. L’homme impliqué dans le mouvement depuis plus de vingt ans avance une explication : « Ils n’avaient pas de modèle, pas d’expérience dans la culture de la terre ni dans la vie en communauté. » Autre aspect non négligeable selon lui : le climat, très difficile en hiver.

L’éco-village des Trois Côtes, dans le Bas-Saint-Laurent, faisait partie des chantiers prometteurs il y a dix ans. Malgré cela, l’association a fini par se dissoudre.

Le Mont Radar, situé à Saint-Sylvestre, dans Chaudières-Appalaches, a connu un sort semblable. En 2010, une entreprise a racheté le site pour transformer l’ancienne base militaire de 275 acres en complexe récréotouristique.

Nicole Fafard, fondatrice avec Paul Casavant du fonds foncier communautaire Terravie, à Montcalm, dans les Laurentides, comprend que certains projets n’aient pas tenu la route. « Au début, on n’avait pas d’argent, pas de fonds, que des idées ! », se rappelle celle qui a présidé l’organisme à but non lucratif de 2003 à 2012.

Le duo a monté « une structure juridique qui permet de préserver à perpétuité les terrains d’activités humaines ». Cette fiducie a pour but de développer des « collectivités écologiques viables ». Un modèle unique en son genre qui leur a valu le prix Phénix de l’Environnement en 2007 et le premier prix canadien du concours « Terre des femmes » de la Fondation Yves Rocher l’année suivante.

Seul 25 % du territoire acquis peut servir à des projets d’écotourisme, d’éducation environnementale, d’agriculture biologique ou d’habitation écologique. Nul peut bâtir sans l’accord du « fonds foncier communautaire » et en respectant la Charte écologique développée sur place. En 2015, une serre passive solaire a été construite lors d’un atelier d’écoconstruction.

Le concept évolue

Marco Castroni, de l’atelier coopératif d’architectes suisses baptisé La Ville Nouvelle, a dressé le schéma idéal: un éco-village dispersé, intégré à l’économie locale et érigé à partir d’un noyau d’immeubles existants. 

Premier éco-village irlandais, The Village, situé à Cloughjordan, au cœur de l’île, a été pensé de cette façon. Il est relié par un accès piétonnier à la rue principale où se trouvent les commerces et les pubs. Les habitations sont concentrées autour de la place du marché, qui sert de carrefour de rencontres.

Sur 67 acres de terrain, 50 ont été laissés à la nature. Il reste 45 unités de terrain à vendre sur 130 et un emplacement pour construire un bâtiment destiné à la communauté.

Conséquence directe de la crise financière et immobilière de 2008, les prix demeurent élevés et la possibilité d’emprunter est maigre. Comme quoi The Village, avec ses 53 maisons et une centaine de membres adultes, traverse lui aussi certaines difficultés.

Troisième habitant à s’y installer, Peadar Kirby, fait désormais partie de ceux qui dirigent la destinée de l’éco-village. Pour lui, il s’agit sans contredit d’un modèle de réussite. Il est vrai qu’en choisissant d’intégrer un secteur préexistant, The Village a permis de redynamiser la bourgade de Cloughjordan, qui se dépeuplait au milieu des années 2000, faute d’emplois à proximité.

Comme à la Cité écologique, l’éco-village a ses entreprises. Parmi elles, un FabLab, une auberge de jeunesse écologique et un espace de coworking pour que les habitants puissent travailler à partir de chez eux.

En 2014, Cloughjordan était finaliste aux « Ace Awards » dans la catégorie régionale du meilleur village à énergie neutre des pays d’Europe de l’Ouest. Son empreinte écologique est la plus basse d’Irlande : deux hectares globaux par personne au lieu de 5,6 au niveau national. (Au Canada, elle atteint 8,2.)

Ce résultat est proche de l’objectif mondial de 1,7 escompté d’ici 2050 pour éviter d’épuiser les ressources de la planète.

« Nous n’avons pas d’autres choix que de nous diriger vers une société post-carbone, estime Peadar Kirby. Personne n’a la solution mais les éco-villages sont l’un des exemples à suivre. » Utopique ? « Il faut savoir ce que veut dire une utopie : si c’est une société parfaite, alors non, pour moi il n’en existera jamais. Mais si cela signifie une façon de rêver des possibilités de vivre autrement, alors oui, Cloughjordan est une communauté utopique. »

Russ Purvis, président du Réseau des écovillages du Canada, estime qu’il y a 6 ou 7 éco-villages établis au Canada et une vingtaine « en construction », principalement au Québec et en Colombie-Britannique. Le répertoire des éco-communautés du Québec, paru en 2010, dénombrait à l’époque 25 éco-communautés au Québec. Pour sa part, le Global Ecovillage Network en recense des centaines à travers le monde dont plusieurs en construction.