Le problème de l’information fait couler de l’encre depuis longtemps au Québec. La concentration de la presse est considérée par les spécialistes comme l’un des problèmes principaux. Les consultations et commissions tenues depuis 30 ans sont restées sans effet, faute de volonté politique. Au contraire, le problème s’est accentué et 97% du tirage de tous les quotidiens francophones sont aujourd’hui aux mains des deux grands groupes de presse que sont Gesca et Québecor*. Le Québec est une terre où le contrôle de l’information est concentré entre les mains d’un plus petit nombre de personnes que presque partout ailleurs.

Partout au Québec, plusieurs intervenants ont souligné un appauvrissement de l’information, principalement dû à la précarité et aux conditions de travail difficiles, à l’hégémonie de la publicité au détriment de l’information et au recul de la presse indépendante.

Concentration de la presse

En région, ce recul s’explique entre autres par la guerre que se sont livrés Québecor et Transcontinental (TC Media) depuis quelques années pour le contrôle des hebdomadaires. «Le nombre de journaux indépendants au Québec est passé de 69 en 2005 à 29 aujourd’hui», rapporte Yannick Patelli, directeur général de L’Oie blanche, à Montmagny.

Lors de la rencontre de Lévis, Sylvie Fortin, conseillère en communication pour la Conférence régionale des élus (CRÉ) de Chaudière-Appalaches, rapporte qu’un recensement de la CRÉ, en 2008-2009, dénombrait 80 médias dans la région. Ce n’est aujourd’hui plus le cas. La concentration de la presse a provoqué un appauvrissement de la qualité de l’information: «S’il y a maintenant cinq journalistes membres de la FPJQ sur le territoire, c’est beau», déplore Mme Fortin.

À Montmagny, le phénomène prend une tournure particulière. C’est Québecor Média qui a cédé du terrain au journal coopératif L’Oie blanche, en échange d’une entente concernant les sacs à circulaires de Québecor (le journal coopératif sera désormais distribué ainsi). Cette entente a également sécurisé l’imprimeur coopératif Les Presses du Fleuve, qui imprime L’Oie blanche, en ajoutant plusieurs journaux de Québecor à son carnet de commandes.

Est-ce que Québecor pourrait ainsi gober ses concurrents? C’est l’inquiétude ressentie par certains. Mais Yannick Patelli assure que non. L’Oie blanche étant une coopérative, on ne peut l’acheter. Dans le cas des Presses du fleuve, cela serait par contre possible. Mais M. Patelli préfère considérer les aspects positifs de l’entente: «S’il n’y avait pas eu l’opération Québecor, je n’aurais plus d’imprimeur aujourd’hui. Je préfère avoir un apport de Québecor que d’être imprimé à Montréal».

Épilogue: quelques mois après cette entrevue, Les Presses du Fleuve ont été rachetées par un entrepreneur local indépendant et privé, puis Québecor a vendu à TC Media ses hebdos dans toutes les régions, avant d’abandonner finalement la distribution des sacs publicitaires.

Convergence de l’information

La convergence de l’information a été critiquée par plusieurs intervenants comme représentant une menace pour la démocratie. Marjorie Lemire-Garneau, de Sept-Îles, s’est même permise de décrire les grands groupes de presse comme des «monstres» de l’information. «Quand tu contrôles l’information, tu as beaucoup, beaucoup de pouvoir. Power Corporation et Québecor, s’ils décident qu’une nouvelle ne se présente pas, eh bien, elle ne passera pas à la télé. C’est eux qui décident!»

Ces propos rejoignent ceux tenus en 2011, dans le contexte du lock-out au Journal de Montréal, par le porte-parole de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) de l’époque, Brian Myles: «Est-ce qu’on veut qu’une poignée de dirigeants d’un immense empire de presse puisse dicter sans contrepoids la couverture de l’actualité?» (Le Devoir, 3 février 2011).

La presse indépendante devrait être protégée comme le dernier rempart de la démocratie. C’est l’opinion qu’a exprimée Marc Simard, rédacteur en chef du Mouton noir de Rimouski: «la démocratie, c’est au quotidien que ça se passe. Et pour entendre des citoyens au quotidien, eh bien c’est dans la presse indépendante que ça se passe».

Toute cette question de la concentration de la presse avait fait dire au bouillant syndicaliste Michel Chartrand, en 1998, alors qu’il était candidat dans la circonscription électorale de Jonquière, que les médias «nous empoisonnent. On a la plus grosse concentration de la presse dans le monde occidental. Pis y a pas un journal pour le peuple».

Dans son style bien à lui, M. Chartrand avait alors évoqué quelques pistes de solutions: «Les caisses populaires, avec 88 milliards d’actifs, crisse, elles nous donnent la Revue Notre-Dame. Pis le mouvement syndical, avec 750 000 membres, calvaire, ils sont pas capables de donner un journal pour le peuple. Après ça, les gens chialent que le peuple est pas intelligent pis qu’il vote pas bien. Mais y a personne qui lui dit la vérité» (Le Devoir, 28 novembre 1998).

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Cet article a été publié dans l’édition papier hiver 2014 (février)

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