Reconnue pour son cachet récréotouristique et la richesse de ses ressources naturelles, la Vallée de l’eau est dans la mire de l’industrie pétrolière et gazière. Des voix citoyennes se lèvent face à ce qui pourrait affecter le bassin hydrographique de la Vallée de la Matapédia, dont la grande majorité des claims appartient à l’entreprise Marzcorp Oil & Gas Inc. Les citoyens se sont rendus nombreux à la soirée d’information publique organisée à l’Hôtel de Ville d’Amqui le 17 novembre 2011, préparant ainsi le terrain à l’adoption d’une résolution par le Conseil municipal le lundi suivant contre l’exploitation pétrolière et gazière sur son territoire. Peu après, la compagnie Gastem tenait conseil le 5 décembre à Saint-Léon-Le-Grand pour y présenter ses projets d’exploration pétrolière.

Plus de 80 Matapédiens s’étaient réunis à la soirée d’information publique organisée à l’initiative des enseignants du Centre matapédien d’études collégiales (CMÉC) Stéphane Poirier et Michel Marcheterre. Tous deux engagés dans le mouvement Non à une marée noire dans le Saint-Laurent, ils souhaitaient informer la population sur les dangers d’éventuels projets d’exploration et d’exploitation des hydrocarbures dans la région, de concert avec le maire d’Amqui, Gaëtan Ruest. Les organisateurs avaient invité Marc Durand, ingénieur-géologue retraité de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), à présenter en vidéoconférence les lacunes géotechniques de la fracturation hydraulique.

Le maire d’Amqui a présenté aux participants la résolution qui devait être adoptée par le Conseil de ville d’Amqui le lundi suivant, visant à interdire le prélèvement d’eau sur son territoire ainsi que la fracturation hydraulique. Cette dernière est la seule technique connue jusqu’à ce jour qui permette d’explorer et d’extraire les hydrocarbures non conventionnels (gaz et pétrole de schiste) pouvant peupler le sous-sol matapédien. Comme l’a indiqué M. Durand, en plus de l’utilisation d’une « soupe » de produits chimiques, tout projet de fracturation hydraulique nécessiterait l’utilisation d’énormes quantités d’eau potable de la région, scénario que la Ville, reconnue pour la qualité de son eau provenant de sources souterraines, entend bien éviter.

Impacts négatifs pour l’économie

Les participants ont exprimé plusieurs réserves face au développement d’une telle industrie dans la région. Selon le maire Ruest, ce n’est pas tant l’aspect environnemental qui sera affecté, mais c’est toute l’économie de la région qui en ressentira les contrecoups, dont l’industrie touristique qui repose sur les richesses hydrographiques du territoire (chasse, pêche, etc.). « En termes de collectivité québécoise et même matapédienne – parce qu’on va participer à la facture – ça va nous coûter de l’argent au lieu de nous en rapporter, et en plus on va rester avec des dommages environnementaux. »

La conférence de Marc Durand a révélé qu’aucun profit généré par les industries ne revient à la municipalité et que tout dommage environnemental relève de la responsabilité de l’État après l’arrêt des travaux. Un puits peut prendre des milliers d’années à évacuer tout le gaz ou le pétrole restant, car on ne peut extraire que 20% de la ressource totale lorsqu’il s’agit de gisements non conventionnels. L’ingénieur-géologue a mentionné qu’il est impossible de garantir la fiabilité des installations pour toujours et qu’actuellement, au Québec, « 18 puits sur 31 fuient ». Interrogé quelques jours plus tard, Stéphane Poirier rappelle que « rien ne nous dit que l’industrie va défrayer les coûts pour rétablir, dépolluer ou décontaminer le milieu », lequel devra être ensuite effectivement pris en charge par la collectivité.

Protection des territoires

Au Québec, tout projet entrepris par l’industrie pétrolière et gazière est régi par la Loi sur les mines du Québec qui date de 1880, époque de la ruée vers l’or que les organisateurs de la soirée qualifient aussi de « free mining » et de « free for all ». Cette loi, a expliqué M. Durand, donne accès aux compagnies pétrolières et gazières au sous-sol québécois, dont les parcelles ont été vendues à 10 ¢ l’hectare. Il est toutefois possible pour les propriétaires d’interdire aux compagnies l’accès à leur terrain, en vertu des articles 65, 170 et 235 de la même loi, comme le propose le site www.moratoirecitoyen.com.

Cette alternative encourage certains agriculteurs de la région présents à la rencontre d’information, qui espèrent que l’ensemble des propriétaires du territoire pourra se mobiliser. Car, comme l’a illustré Marc Durand, il faudrait que la totalité des gens refusent l’accès aux compagnies gazières, parce qu’il suffit de forer sur un seul terrain pour fracturer un rayon de 6 kilomètres. Ce faisant, elles pourraient endommager le sous-sol et les nappes phréatiques d’autres propriétaires voisins.

Signer des lettres d’interdiction reste pour l’instant la seule façon pour les propriétaires de faire prévaloir leurs droits et de protéger leur propriété. En suivant les démarches déjà entreprises par les Madelinots qui sont parvenus à recueillir plus de 1200 lettres de propriétaires, les gens du mouvement Non à une marée noire dans le Saint-Laurent et d’autres citoyens intéressés vont former des comités qui seront chargés de faire signer des lettres aux propriétaires fonciers de la région matapédienne afin d’interdire aux compagnies gazières et pétrolières l’accès à leur terrain. « Le gouvernement ne pourra pas dire : « je vais utiliser la clause de l’expropriation avec la Loi sur les mines pour exproprier Amqui au complet » », lance Stéphane Poirier.

Gastem à Saint-Léon

L’entreprise Gastem a investi le sous-sol de l’église de Saint-Léon-le-Grand, village voisin d’Amqui, le 5 décembre dernier afin de présenter son plan d’action concernant des travaux exploratoires de pétrole conventionnel dans la municipalité, travaux sur lesquels le Conseil municipal ne s’est pas encore prononcé. Après avoir assisté à cette rencontre, Stéphane Poirier affiche une fois de plus sa méfiance face à de tels projets : « Normalement, ça prendrait une consultation publique avant de dire : « on se lance là-dedans ». Actuellement, ce n’est pas ça qui est fait : l’industrie débarque, elle fait ses aménagements, ce qui est ridicule parce que c’est lors de la phase d’exploration qu’il y a les plus grands risques environnementaux, et c’est seulement après qu’on va être consultés, via un BAPE [Bureau d’audiences publiques sur l’environnement], pour voir si l’on exploite ou non. »

Questionné par le maire d’Amqui quant à l’éventualité de tels projets, M. Durand a précisé qu’il y a bien une « mince possibilité » que le territoire Gaspésien renferme des gisements conventionnels, « pas nécessairement énormes » cependant. La crainte des citoyens réside surtout dans la possibilité que la compagnie se mette ensuite à exploiter des gisements non conventionnels (pétrole ou gaz de schiste), car « si Gastem trouve des hydrocarbures conventionnels, rien ne nous garantit qu’il n’y aura pas d’exploration d’hydrocarbures non conventionnels », ajoute le jeune enseignant.

Ralliement des citoyens et de la MRC

Par sa démarche d’information et de conscientisation, Amqui souhaite ainsi amener les autres municipalités de la région à adopter une résolution similaire. Car, comme l’annonçait M. Marcheterre au début de la soirée d’information, si certaines municipalités laissent aller de tels projets exploratoires d’hydrocarbures, cela pourrait endommager tout le réseau hydrographique de la région, et ce, « quel que soit le type d’exploration », précise-t-il. Pour l’instant, le Conseil de la MRC de la Matapédia commence sa réflexion et aura à prendre position bientôt, selon la préfet Chantale Lavoie, également présente à la soirée.

Beaucoup de citoyens de la Matapédia présents lors de la soirée du 17 novembre ont identifié des actions qui pourraient éveiller la vigilance des citoyens de Saint-Léon. Parmi les réflexions lancées par les Matapédiens, la tâche prioritaire sera de former des comités citoyens afin d’informer et de mobiliser le plus possible la population de la Vallée sur les enjeux de tels projets d’exploitation d’hydrocarbures, qu’ils considèrent comme une ressource non rentable, non durable, ni renouvelable.

Les citoyens, tout comme le maire Ruest, voudraient ainsi pouvoir assumer une certaine responsabilité collective et leur devoir envers la protection du territoire, de la communauté et du bien commun. « C’est pas notre gouvernement qui va faire ça, exprime M. Ruest, c’est à la base comme toujours : les citoyens! Parce qu’à la base, c’est là qu’est le vrai pouvoir, et le vrai pouvoir s’exerce quand on se met ensemble ! »

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Les vidéos de Marc Durand présentées lors de la soirée d’information sont disponibles aux adresses :
http://youtu.be/rgupsa48DbM et http://youtu.be/_z2_j3Ap7wY