C’est dans la nuit du 14 janvier que la vie de la famille du vieil Adama Nantoumé et des 35000 habitants de Diabaly a brusquement basculé lorsque les miliciens d’al-Qaïda et d’Ansar Dine – les défenseurs de la Foi – se sont emparés de la petite commune située à 80 kilomètres de la frontière mauritanienne. Une attaque surprise sur une ville à l’ombre du monde, oubliée et heureuse de l’être. Mais quatre jours après l’invasion islamiste, l’homme de 76 ans, père de cinq enfants et mari d’une jeune femme tamasheq, allait vivre une tragédie jamais anticipée dans cette ville où l’excitation atteint historiquement son paroxysme quand le Mali attaque la Guinée…sur la pelouse d’un terrain de foot.

Dans la nuit du 18 janvier, le vrombissement des chasseurs de l’armée française se fit entendre pour la première fois.

«Il y avait quatre camions de djihadistes stationnés près de ma maison», se souvient M. Nantoumé. Puis, un éclair de lumière, suivi d’une violente onde de choc qui plongèrent le vieux Malien dans un tourbillon où ses pensées se perdent pour quelques secondes, mais dont il gardera à jamais un souvenir aussi amer que celui de la violente bataille qui suivit l’attaque aérienne.

«Je me suis réveillé puis, au milieu du bruit de claquement des balles, j’ai vu les trous dans le mur de ma chambre. J’avais trop peur pour me lever, mais je voyais ma femme et mes enfants qui étaient couchés près du mur. Ils étaient couverts d’éclats de terre et de poussière. Les deux plus jeunes pleuraient fort et c’est en rampant vers eux que j’ai vu les taches de sang sur les couvertures». Au terme de la bataille de Diabaly et de sa «libération» par les forces coalisées de la France et du Mali, trois des enfants d’Adama ainsi que sa femme sont blessés. Rien de grave en principe – quelques plaies dues aux éclats de pierre et de métal. Mais dans une ville alors coupée de la capitale Bamako et dont les djihadistes se sont enfuis en prenant soin de dévaliser la pharmacie, la station-service et les deux banques, difficile d’obtenir les soins qui préviendraient l’infection.

L’histoire tragique d’Adama Nantoumé est le miroir du traumatisme qui a violemment secoué le Mali, jusqu’alors un phare de relative stabilité sur un continent sans cesse bouleversé, de coup d’État en ingérences étrangères en passant par la mainmise sur ses ressources naturelles par de grandes corporations, surtout occidentales et chinoises. Le nord du pays et ses villes éparses, Tombouctou et Gao en tête de liste, ont subi au fil des cinq dernières décennies des soubresauts qui se sont limités, jusqu’en janvier 2012, à trois brèves révoltes par les Touaregs.

La chute du régime libyen a permis au mouvement sécessionniste nord-malien, mené par les Touaregs du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) de s’emparer d’une partie substantielle de l’arsenal de l’armée de Kadhafi. C’est donc avec des camions technicals armés de mitrailleuses lourdes et de lance-roquettes que les rebelles ont écrasé la petite armée malienne, déjà affaiblie par un coup d’État dans la capitale

Mouvement laïc, les rebelles touaregs du MNLA ont ensuite capitulé devant l’avancée d’une coalition islamiste d’influence salafiste formée d’al-Qaïda au Maghreb islamique, d’Ansar Dine et du Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest. Un cocktail explosif, surtout que dix mois d’occupation du Nord-Mali marqués par l’imposition violente de la charia ne suffisaient plus aux djihadistes, qui ont décidé de marcher vers Mopti, frontière symbolique entre le nord et le sud. Une invasion considérée alors par la France, colonisateur historique du Mali jusqu’en septembre 1960, comme un casus belli justifiant pour elle son intervention militaire qui, bien qu’elle bénéficie jusqu’à maintenant d’un fort soutien parmi une population qui agite le drapeau bleu-blanc-rouge au passage des convois, est jalousement fière de son indépendance.

L’histoire jugera l’intervention française au Mali, mais une chose demeure certaine – le pays et ses habitants auront peine à se relever du traumatisme induit par cette nouvelle réalité, celle de la guerre qui, aujourd’hui, s’est déjà transformée en une guérilla qui porte certains traits ressemblant déjà à celle menée en Irak et en Afghanistan. Un nouveau champ de bataille ouvert dans le contexte de cette éternelle «guerre au terrorisme» par des factions islamistes dont les desseins évidents – domination religieuse et banditisme – cachent peut-être d’autres motivations.

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Ce reportage a été réalisé dans le cadre d’une démarche indépendante comme journaliste de guerre. Elle vise à promouvoir l’importance de couvrir l’actualité internationale, notamment en zone de guerre, en insistant sur l’angle humain, dans un contexte de réduction de l’international dans la couverture médiatique.

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