Une semaine après la sauvage agression subie aux mains de troupes maliennes, les traces de violence sont toujours visibles sur le corps meurtri d’Aljoumati Traoré. De rudimentaires bandages ornent toujours son crâne tuméfié. Il raconte son histoire, le regard vers le sol, une posture qui en dit long sur l’état d’esprit de l’homme qui, selon les dires de son fils Bilali, demeure toujours un fier Malien.

«Les soldats m’ont apostrophé dans la rue près de la mosquée. ‘Toi, tu es un islamiste!’», se rappelle-t-il, mentionnant qu’il portait alors un boubou et un taqiyah, un chapeau islamique s’apparentant à la kippa juive. C’est son couvre-chef qui l’a surtout «trahi». «Les soldats m’ont alors tabassé pendant de nombreuses minutes, m’accusant d’être un sympathisant des djihadistes. Ils m’ont trainé jusque chez moi et sont venus fouiller ma maison. Ils ont fait beaucoup de dégâts».

Musulman pratiquant, M. Traoré – qui se donne l’âge aussi vénérable qu’improbable de 166 ans – ne soutient certainement pas les islamistes et il exprime énergiquement son dégoût envers ces «mécréants» . «Ce sont des barbares. Ils sont venus ici en sauvages en fuyant l’armée française et ils ont tout saccagé. Ils sont la honte de l’Islam». Un sentiment partagé par l’ensemble des Maliens, peu importe leur origine ethnique, et dont 94% se disent de confession musulmane. Un islam qui mélange tradition arabe et mœurs culturelles maliennes encore empreintes de l’animisme qui a longtemps dominé les croyances locales. L’alcool est disponible et abordable, et on ne se presse pas aux appels des muezzins tant dans les rues de la capitale Bamako que dans les échoppes des communes plus rurales.

La plupart des Maliens préfèrent continuer de se recueillir devant la diffusion de l’Africa Cup que sur un tapis de prière. Mais l’invasion des djihadistes et leur imposition violente de la charia ont semé la peur et la méfiance dans la population. La diversité ethnique du Mali est évidente. Seulement la moitié de ses 15,5 millions d’habitants est d’origine mandingue (Bambaras, Malinkés, Solinkés) et se retrouvent principalement au sud. Au nord se trouvent les nomades touaregs et autres groupes nomades ou semi-nomades comme les Maures, qui totalisent 10% de la population. Le reste est constitué des peuples peul, dogon et songhaï qui vivent surtout au centre du Mali.

Une balafre qui divise

À Konna, près de l’école coranique Siblou Rachaade. «Pas de photo, c’est clair?», s’exclame, fusil d’assaut bien en main, un soldat malien alors que plusieurs journalistes tentent de capter en images l’intérieur d’un puits de terre cuite couvert d’un superficiel amas de branches au travers duquel on peut entrevoir une tache bourgogne dégoulinante ressemblant à du sang séché. Plus loin, au milieu d’une rue inhabituellement déserte en ce lundi après-midi, un officier malien discute avec plusieurs membres de la presse des évènements des dernières semaines qui ont chamboulé la petite commune de 32000 habitants, située à près de 500 kilomètres au nord-est de Bamako. Un ordre comme on les entend souvent ici, où la censure rend difficile le travail des journalistes.

Une censure qui occulte la vérité et complique la vérification d’allégations de crimes de guerre commis par l’armée malienne envers des Touaregs et des civils appartenant à des groupes ethniques minoritaires présents dans les rangs des groupes armés qui ont subi une cuisante défaite aux mains de la coalition France-Mali-Afrique – al-Qaeda au Maghreb Islamique, le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest et Ansar Dine. Car l’enjeu de cette crise était, encore une fois, l’indépendance du nord du Mali, immense territoire désertique au milieu duquel trône la mythique Tombouctou, désormais balafrée par le passage et le règne de ces groupes qui ont imposé, durant 10 mois, une interprétation stricte, voire tordue, de la charia. Amputations, flagellations, humiliations publiques et exécutions suite à des procès bidons se succédèrent jusqu’à la reprise de la ville par les forces militaires françaises et maliennes.

Des cicatrices entre des peuples partageant le même sol qui seront longues à se refermer.

—-

Ce reportage a été réalisé dans le cadre d’une démarche indépendante comme journaliste de guerre. Elle vise à promouvoir l’importance de couvrir l’actualité internationale, notamment en zone de guerre, en insistant sur l’angle humain, dans un contexte de réduction de l’international dans la couverture médiatique.

Lire aussi, le premier article: Traumatismes sur un nouveau champ de bataille