Cynisme, désengagement, participation électorale endémique, les citoyens ne débordent pas d’enthousiasme pour leurs municipalités. Au moment où la Commission Charbonneau est devenue un véritable feuilleton télévisé, comment redonner confiance dans la politique? Et si la solution passait par le local?

Ensemble a rencontré deux observateurs de la vie publique qui croient que l’avenir de la démocratie passe par le municipal. L’un urbain et militant indépendant des institutions. Dimitri Roussopoulos est fondateur du Centre d’écologie urbaine de Montréal. L’autre, plus rural et politicien… avec des réserves. Jean-François Fortin est ex-maire de Ste-Flavie et maintenant député fédéral pour le Bloc québécois.

Ils sont tous deux convaincus que la municipalité est une échelle idéale pour agir comme citoyen. «La politique municipale est clairement l’endroit le plus propice pour motiver une dynamique de changements à brève échéance», se lance dès la première question Jean-François Fortin. Premier lien de confiance à rétablir : les élus au coin de la rue.

Nouveau souffle démocratique

Comment se débrancher du respirateur artificiel? La réflexion courante «si vous n’êtes pas contents vous n’avez qu’à ne pas me réélire dans quatre ans» doit être rejetée, dit Jean-François Fortin. Comment «ouvrir les portes et les fenêtres du pouvoir?», pour reprendre l’expression de Dimitri Roussopoulos. La proximité sur le terrain municipal devrait faciliter la participation citoyenne.

Avant de sauter en politique fédérale pour «brasser des idées et renouveler le débat», Jean-François Fortin a laissé sa marque dans la municipalité de Ste-Flavie. Il a effectivement fait ses propres expériences en initiant d’abord un comité citoyen pour «ré-impliquer les gens». Dimitri Roussopoulos propose ainsi de créer des comités citoyens. Ils pourront éventuellement prendre part au conseil municipal, ou faire élire un de leurs membres dans cette instance. Une ville plus grande pourrait aussi créer des assemblées de quartier pour décentraliser les débats et décisions.

À certains collègues qui lui disaient «T’es fou ! Ils viennent toujours chialer de toute façon», M. Fortin ne pouvait qu’insister : «s’alimenter à la source est une façon de combattre le cynisme». Il avait également organisé une rencontre avec les citoyens de sa municipalité, afin qu’ils choisissent leurs priorités.

Le droit d’initiative, ou les mandats d’initiative populaires sont une autre forme de démocratie participative facile à instaurer à petite échelle. Il s’agit de la possibilité pour les citoyens ou les groupes de citoyens de proposer des changements, des amendements aux règlements existants ou de soumettre des projets. Ce droit est traditionnellement réservé aux élus mais pourquoi ne pas élargir le bassin de bonnes idées?

Mettre le nez dans la comptabilité

Prioriser certains projets ou du moins s’interroger sur le type de développement à favoriser peut aussi passer par le budget participatif. Une expérience de budget élaboré à partir des préférences citoyennes a eu cours dans l’arrondissement montréalais du Plateau-Mont-Royal entre 2005 et 2009.

Dimitri Roussopoulos avance que «c’est l’argent qui mène». «Il faut s’engager dans l’attribution des fonds publics, dans le processus décisionnel pour ne pas en rester à proposer toutes sortes de choses qui restent dans le discours», explique le militant de longue date, avant d’ajouter que «le reste c’est de la crème fouettée». Il cite en exemple la ville brésilienne Porto Alegre, où l’expérience du budget participatif a cours depuis 1989.

La participation accrue des citoyens est plus aisée «dans la cité» que dans les grandes institutions, loin physiquement et parfois «intimidantes», de rappeler M. Roussopoulos. Le meilleur remède pour réactiver la citoyenneté et repousser le cynisme? Démontrer que chaque personne peut changer des choses, passer du vivre-ensemble au faire-ensemble. Attention, Jean-François Fortin met tout de même en garde les citoyens de savoir distinguer «un exercice décoratif» d’un réel effort des élus de les inclure et de colliger leurs opinions.

Quelle cité?

Ainsi, en opposition à cette chose lointaine, déshumanisée, instrumentalisée que semble représenter la politique, Monsieur Roussopoulos propose de «revenir à la base d’une communauté humaine». Mais pas n’importe laquelle. «On vit de plus en plus dans des espaces urbanisées, mais sans le caractère humain, socioculturel et politique de la cité», explique-t-il. De plus en plus de villes, de moins en moins de communautés politiques. Plus qu’un territoire, la ville devrait être société.

Pour renverser cette situation, M. Roussopoulos évoque les idées du municipalisme libertaire, dont la figure phare fut – et est encore – Murray Bookchin, penseur fondateur de l’écologie sociale. Pour Bookchin, le problème qui surpasse et englobe tous les autres (écologiques ou sociaux) est la structure de la société. En interlocuteur habitué aux discussions politiques, Dimitri Roussopoulos résume : «on ne peut pas avoir une ville écologique et un monde viable sans avoir une ville démocratique».

C’est donc pour construire une «démocratie face-à-face», pour retrouver le rapport politique de chacun avec sa cité que les municipalistes proposent de décentraliser le pouvoir. M. Roussopoulos appuie : «Quand le pouvoir est décentralisé, monsieur-madame-tout-le-monde est plus proche d’être en mesure d’exercer son pouvoir de citoyen.»

«Les villes ont été reconnues dans le passé comme les créatrices de civilisations les plus importantes», rappelle Dimitri, en pensant à la cité-État grecque ou à la Suisse du Moyen-Âge. L’idéal du municipalisme est de faire coexister, dans une confédération, des municipalités où la démocratie directe aurait été instaurée. Un idéal encore non concrétisé mais duquel on peut s’inspirer.