Québécor n’est pas réputé faire des ententes avec des journaux régionaux indépendants et coopératifs. Mais cette fois-ci, à Montmagny, il a cédé un de ses journaux à l’hebdomadaire L’Oie blanche qui l’a fait disparaître. En contrepartie, il distribue son Sac Plus de circulaires dans lequel est inséré L’Oie blanche, qui augmente aussi son rayonnement régional. Quant à l’imprimerie Les Presses du Fleuve, Québécor devient un important client en lui confiant l’impression de certains de ses journaux. Ce partenariat est l’histoire de chiffres d’affaires, de parts de marché, d’emplois à maintenir et d’un sac. Et d’une étape supplémentaire vers la concentration de la presse détenue par un des géants.

Yannick Patelli, directeur général de L’Oie blanche explique comment s’est négocié le partenariat : « Nous avons approché Québécor qui publiait un journal dans la région, Le Peuple Côte-Sud, et proposé de devenir le seul journal régional dans lequel il mettrait leur publicité nationale, en lui assurant de mettre notre journal dans leur sac de circulaires. Cela permet de sécuriser notre fournisseur d’impression, Les Presses du Fleuve, car Québécor Média lui a octroyé un contrat de trois ans d’un million de dollars annuels, par l’impression de certains de ses journaux.»

Les Presses du Fleuve inc. est le dernier imprimeur indépendant à l’est de Montréal et « se veut une imprimerie au service des éditeurs indépendants », comme on peut le lire sur son site web. Le nombre de journaux indépendants au Québec est passé de 69 en 2005 à 29 aujourd’hui et les coopératives se comptent sur les doigts d’une main.

L’entreprise a été créée sur l’initiative du journal coopératif L’Oie Blanche en 2005 pour sauver des emplois suite à la fermeture l’année précédente de l’usine d’électroménagers Whirlpool et contribuer à la relance économique de la région de Montmagny. Une coopérative de travailleurs actionnaire (CTA) a été créée au sein de l’imprimerie, dont la trentaine d’employés sont membres et détiennent 16 % des actions. Parmi les treize actionnaires, la CTA est un des trois plus importants. Les employés sont représentés au conseil d’administration par un des leurs, qui prend part au processus de décision avec les quatre autres personnes.

Le sac au cœur des affaires

En s’associant à Québecor Média, L’Oie blanche, coopérative d’une centaine de membres utilisateurs (commerces et industries de la région) fondée en 1990, augmente son territoire de distribution sur plusieurs municipalités à l’est de Montmagny et le nombre de ses copies passe de 22 000 à 28 000. L’hebdo gratuit est désormais livré dans Le Sac Plus, quittant ainsi le Publisac de Transcontinental, le compétiteur de Québécor. Les deux groupes se livrent une bataille pour implanter chacun leur sac partout au Québec, depuis l’entrée de Québécor sur ce marché il y a deux ans.

« Nous ne sommes pas capables de nous payer nous-mêmes une distribution, reprend Yannick Patelli. Le marché du journal papier n’est pas en train de se réduire, mais se concentre dans les mains de ces deux groupes. Les gros quotidiens ont tendance à diminuer leur nombre de pages, donc les groupes se tournent vers les régions [et leurs hebdos] pour diffuser leur publicité nationale. »

Il n’y a pas d’entente rédactionnelle avec Québécor, notamment sur l’utilisation de contenus provenant de son agence QMI, précise monsieur Patelli. L’Oie Blanche s’est dans le même temps porté acquéreur du mensuel Informe Affaires, dont il va poursuivre l’édition. Les emplois du Peuple ont été maintenus en les transférant à Informe Affaires.

Le devenir d’un rare imprimeur indépendant

« Il y a de moins en moins de médias indépendants et nous avons perdu ces contrats d’impression, dit Philippe Bégin, directeur des Presses du Fleuve. Plusieurs journaux indépendants ont été achetés par Québécor et Transcontinental, qui proposent l’impression, la distribution et des sites web. » Au fil des dernières années, la perte de ces contrats s’est élevée à 2 millions de dollars et mis en difficulté l’imprimerie au point qu’elle envisage de fermer. Québécor devient maintenant le client majeur des Presses du fleuve, représentant 15 à 20 % de son chiffre d’affaires, le deuxième client étant L’Oie blanche.

« Idéalement, on ne voudrait pas avoir de client dépassant 15 % de notre chiffre d’affaires, commente Philippe Bégin, directeur général des Presses du Fleuve. Si on ne fait pas affaire avec les deux grands, on n’aura pas assez de travail pour faire marcher nos presses ».

Est-ce que Québécor pourrait devenir un actionnaire important ou majoritaire aux côtés de la CTA des Presses du Fleuve ? Est-ce qu’un journal indépendant, client de cet imprimeur, comme c’est le cas de la Coopérative de journalisme indépendant, éditeur du journal Ensemble, perdrait le choix d’un imprimeur véritablement indépendant d’un grand groupe de presse ?

« Cela ne change rien pour la CTA. La volonté de l’entreprise et du milieu, depuis sa création, est qu’elle soit la propriété des employés. C’est une décision collective, au sein du conseil d’administration. Je ne crois pas que Québécor soit intéressé à devenir actionnaire, ils viennent de fermer certaines de leurs imprimeries. Je pense que l’édition et la diffusion publicitaire figurent plutôt parmi leurs priorités », répond Philippe Bégin. Québécor Média n’a pas été en mesure de répondre aux questions du journal Ensemble avant le bouclage de cette édition.

Une voix perdue

La disparition du Peuple, Richard Lavoie, journaliste indépendant et ethnologue, la déplore : « C’est une question de diversité de la presse, on a perdu une voix, les contenus étaient traités souvent différemment par les deux journaux. Plus il y a de journaux, mieux on est informé. Pour moi, L’Oie blanche est une coopérative de marchands qui se donnent une plateforme pour s’annoncer à moindre coût. On a 40 % de contenu informationnel, ce n’est pas énorme, comme dans tous les hebdos gratuits d’ailleurs. »

Quant au Publisac qui contenait Le Peuple, les citoyens sont aussi nombreux à aller le chercher, comme avant, à côté de leurs boîtes aux lettres même s’il ne contient plus de journal, mais juste des circulaires. À se demander ce qui est le plus attrayant pour les lecteurs, et qu’est-ce qu’ils sortent et lisent en premier du sac, la publicité ou l’information ?