Dans le pays le plus au sud de l’Amérique, les coopératives sont un espace de réflexion face au monopole des médias massifs de communication. De passage en Argentine, le journal Ensemble a rencontré José Orbaiceta, président de la Fédération de Coopératives de travail de la Province de Buenos Aires (FECOOTRA) et trésorier de la Confédération coopérative de la République argentine (Cooperar) pour connaître la situation actuelle des médias coopératifs en Argentine.

Laura Carli, journal Ensemble : De quelle façon les médias coopératifs sont-ils structurés en Argentine ?

José Orbaiceta, FECOOTRA : En Argentine, il y a neuf journaux qui sont, à la base, des coopératives. Tous ensemble, ils constituent la Fédération associative de journaux et communicateurs coopératifs (FADICCRA), c’est-à-dire que toutes les PME de journaux en province, ainsi que la fédération et les imprimeries, font partie des Journaux de l’intérieur de la République argentine (DYPRA), ce qu’on appelle «l’Argentine graphique d’économie sociale». Il faut aussi ajouter environ 1 200 publications du mouvement coopératif argentin, ainsi que les publications des quartiers et des régions qui n’appartiennent pas au mouvement coopératif, mais qui fonctionnent sous la structure d’une ONG ou grâce à des initiatives des quartiers.

Il existe aussi des radios coopératives dans la ville fédérale de Buenos Aires et en province. Actuellement, une fédération des radios communautaires et d’économie sociale prend forme en Argentine.

Environ 220 chaînes de télévision par câble sont développées par les coopératives des services publics comme l’électricité, le gaz et le téléphone, et regroupées sous l’égide de Colsecor TV Cooperativa ou de FECOTEL, la Fédération des coopératives de télécommunication.

Avant, les médias devaient former des sociétés commerciales. Avec la nouvelle Loi des médias (NDLR : Loi 26.522 de Services de Communication audiovisuelle, sanctionnée le 10 octobre 2010), les coopératives peuvent occuper un tiers du marché, qui correspond aux organismes à but non lucratif. La loi attribue les deux tiers restants aux organismes à but lucratif et aux institutions étatiques.

Pour le moment, le gouvernement a lancé un appel de propositions pour 220 chaînes de télévision et le mouvement coopératif va essayer d’obtenir ces licences pour développer une «Argentine télévisuelle d’économie sociale».

C’est le panorama général de la communication en Argentine. On appelle aussi ce mouvement l’«Usine de médias».

L.C. : Comment la nouvelle Loi de communication audiovisuelle et l’utilisation d’internet ont ils influencé le développement de la presse coopérative ?

J.O. : L’internet a permis développer la communication encore plus. Nahud Mirad, coordonnateur de l’Usine de médias, signale qu’au cours des 10 prochaines années, la télévision sera uniquement regardée sur internet. Le gouvernement a développé le programme L’Argentine numérique (La Argentina digital) pour que tous les Argentins puissent avoir accès à la télévision gratuite.

L.C. : Est-ce à dire que cela faciliterait la démocratisation de l’information?

J.O. : Exactement. Actuellement, on entend plus de voix qu’il y a trois ou quatre ans. Auparavant, on entendait seulement la voix des monopoles, maintenant on entend les voix du coopératisme, des universités. C’est une réalité différente.

L.C. : Quelles sont les difficultés que les médias coopératifs doivent affronter chaque jour?

J.O. : En fait, il y a deux aspects. Le premier, c’est la lutte nationale où les monopoles qui perdent leurs privilèges font appel à la justice pour empêcher que la nouvelle loi soit appliquée. Même s’ils cherchent à influencer la justice, celle-ci se prononce toujours en faveur de la loi.

Ensuite, c’est nous-mêmes. Le mouvement coopératif doit réaliser qu’il veut vraiment être une autre voix. Même avant l’arrivée de la nouvelle loi, on avait plusieurs radios, chaînes de télévision et journaux, mais on n’avait pas réussi à travailler ensemble. On était des solidaires en solitaire, mais sans intégration, sans faire entendre notre voix. Pour cette raison, le premier défi à relever est notre conviction que l’on doit être une voix alternative et participer à la démocratie et à la construction d’un nouveau monde.

L’économie sociale est une alternative face à l’économie du profit qui ne respecte pas les personnes ni la planète. On doit comprendre qu’il s’agit d’une lutte de pouvoir qui a un grand contenu politique et institutionnel et que l’on fait partie d’une autre économie où les médias qu’on développe stimulent la construction d’une subjectivité, d’un individu démocratique plus étendu et prêt à entendre plusieurs voix.

L.C. : Et à partir de ce moment…

J.O. : À partir de ce moment, on a les difficultés économiques.

L.C. : Quelles stratégies utilisez-vous?

J.O. : L’intégration, le travail ensemble, évaluer si l’on peut avoir des initiatives collectives. Chercher du financement et faire une alliance stratégique avec l’État, puis ainsi essayer de mettre des limites à l’économie privée. Et en dernière ressource, travailler avec les trois types d’économie pour un pays plus démocratique, avec plus d’opportunités pour tous les citoyens. Personne ne doit être exclu, il faut avoir plus d’équité et de justice sociale.

Nous avons développé des programmes conjoints avec le gouvernement, l’Institut national d’associativisme et d’économie sociale (INAES), le ministère du Travail et le ministère de Développement social. Avec tous ces organismes, on fait la mise en œuvre de projets pour développer encore plus l’Argentine graphique, radiophonique, télévisuelle, des médias de l’économie sociale.

L.C. : Quelle est la réponse des citoyens quant à l’émergence des nouveaux médias?

J. O. : En province, la presse coopérative et les PME sont les organismes qui maintiennent la population informée.Dans un village de 10 000 habitants par exemple, on reçoit environ 30 exemplaires des journaux nationaux. Par contre, le journal local distribue 1 000 exemplaires. L’émission locale de nouvelles est regardée par toute la population. L’influence des médias coopératifs est très grande et ils ont un grand appui de la population locale.

On est en train de diffuser encore plus ces médias locaux et de faire une intégration qui transmet un message plutôt national. Mais on doit souligner qu’il y a une très bonne réception de nos médias. Ils intègrent les nouvelles technologies, produisent des émissions profitables et attrayante pour les gens. En fait, l’idée est de travailler comme les médias de masse, promouvoir le divertissement, le savoir, la recherche, c’est-à-dire développer tous les aspects.

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L’Usine de médias

L’Usine de médias (http://www.usinademedios.com.ar/) est un projet développé par le gouvernement et les organismes de l’économie sociale.

Selon Nahud Mirad, coordonnateur du programme, «pour développer un système de médias qui répond aux intérêts du peuple, des économies régionales, il faut penser à un système organisé sur la forme d’un réseau de petits groupes productifs, distribué dans tout le pays, avec un ancrage social fort, une confluence locale et régionale des différents types de médias (web, graphique, radio, TV, etc.), des organisations au niveau national et avec un regard sur l’intégration latino-américaine, en créant des liens avec les dénommés pays émergents et les organismes de solidarité des pays développés ».

M. Mirad a ajouté que «le principal ennemi de l’économie solidaire est la dispersion». Pour cette raison, le projet de l’Usine de médias cherche avant tout l’intégration des différents acteurs aux niveaux régional, national et latino-américain.

ANSOL

ANSOL est une agence d’information qui génère des contenus sur l’économie sociale et solidaire en Argentine. Cette agence fait partie de la coopérative Coopar, créée en 2009 afin de réunir professionnels de la communication et du design graphique qui participent activement au secteur de l’économie sociale et solidaire. Coopar fait aussi partie de FADICCRA et FECOOTRA, ce qui témoigne du travail d’intégration qui se fait actuellement en Argentine.

Patricio Suárez Área, coordonnateur de l’agence, explique qu’elle «a été créée avec une fonction et deux objectifs principaux: générer une information authentique, professionnelle et quotidienne du monde de l’économie sociale et solidaire, afin de la distribuer à l’intérieur même de ce secteur et avoir une incidence dans l’agenda médiatique général à travers des contacts et envois d’information à des journaux, radios et médias de moyenne ou grande diffusion».