L’accès à la ressource naturelle la plus précieuse pour l’humanité est inégalitaire. Certains pays manquent d’eau alors que d’autres la gaspillent. Les stocks actuellement disponibles sont de plus en plus menacés par diverses pollutions et exploitations. Avec ces disparités en termes de quantité et de qualité, l’inquiétude pour l’avenir de cette ressource s’exprime dans un contexte mondial d’augmentation démographique et de croissance économique. Les besoins augmentent et les changements climatiques exercent une pression supplémentaire. Alors, l’UNESCO appelle à l’action pour préserver et partager l’eau dans une perspective durable, tant au niveau local qu’entre nations. Même si les risques et les enjeux sont bien réels, l’organisation adresse un message porteur: les cas de coopération pour l’eau sont déjà deux fois plus importants que les conflits.

«L’eau n’est pas un sujet parmi d’autres, c’est le sujet central de la coopération internationale», a déclaré Irina Bokova, directrice générale de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) lors de la cérémonie de lancement de l’Année internationale de coopération dans le domaine de l’eau, le 11 février 2013 à Paris. L’UNESCO a été en effet désignée par l’Organisation des Nations Unies, l’ONU-eau, comme institution coordinatrice de l’Année. «En 2010, le droit à l’eau et à l’assainissement a été enfin reconnu comme un droit humain par l’Assemblée générale de l’ONU. Ce droit, il faut le traduire dans la réalité. Et dans un monde où près de 300 bassins aquifères sont partagés entre plusieurs pays, le seul moyen d’y parvenir, c’est en coopérant», a-t-elle poursuivi.

Si l’eau occupe 72% de la superficie terrestre, sa quasi-totalité (97%) est salée. Les stocks d’eau douce liquide facilement disponibles pour les populations représentent donc une quantité infime. Son accès et sa qualité sont inégaux dans le monde, la pénurie d’eau s’associant à la pauvreté: 17% de la population mondiale, soit 1,1 milliard de personnes, n’a pas accès à l’eau potable, et 2,6 milliards ne disposent pas d’un système d’assainissement de base. Chaque année, 2 millions d’habitants, dont de nombreux enfants, meurent de maladies liées au manque d’eau, comme la dysenterie et le choléra.

À la source de conflits

Ces déséquilibres sont à l’origine de tensions géopolitiques et de conflits entre États pour le partage de l’eau, par exemple entre les États-Unis et le Mexique pour les eaux du Colorado, et entre les pays du Moyen-Orient pour l’eau du Tigre et de l’Euphrate.

La partie mexicaine du Colorado et son embouchure sont régulièrement asséchées, car, en amont, les grandes villes et les agriculteurs du sud-ouest des États-Unis prélèvent abondamment l’eau dans leur portion du fleuve. Si les pratiques de gestion ne changent pas dans la région, la moitié des réservoirs du bassin versant seront à sec en 2050, selon les prévisions des experts.

Depuis sept ans, les bassins du Tigre et de l’Euphrate ont perdu 144 kilomètres cubes d’eau, soit l’équivalent de la mer Morte, dans certaines parties de la Turquie, de la Syrie, de l’Irak et de l’Iran. Sécheresses, évaporation des cours d’eau et des lacs, pompages excessifs dans les nappes phréatiques sont au cœur du problème. Mais c’est la Turquie, où ces deux fleuves prennent leur source, qui a contribué à diminuer leur débit avec la construction de nombreux barrages, et qui en a la maîtrise.

Abondance et paradoxes

Dans les pays développés, tous les habitants ont accès à l’eau potable, qu’elle soit payante ou gratuite, gérée par des compagnies privées ou par l’État. Mais ils sont parfois si inquiets de sa qualité, avec la présence de pesticides, de nitrates et de résidus chimiques, qu’ils préfèrent boire une eau embouteillée. Or, celle-ci n’est pas de meilleure qualité que celle du robinet. Le gaspillage de cette eau traitée et assainie est si manifeste qu’il en devient irresponsable eu égard à ceux qui, à l’autre bout du monde, meurent chaque jour d’en manquer. Consommer l’eau embouteillée est lourd de conséquences sur l’environnement, notamment avec le recours à d’importantes quantités d’énergies fossiles pour sa mise en contenant, son transport, et le traitement de ses déchets.

Pourtant, même là où la ressource abonde, on se préoccupe tout de même de plus en plus des risques de pollution, car on prend conscience qu’elle est épuisable. L’eau souterraine, les cours d’eau, les lacs sont menacés par l’exploitation des ressources minières, gazières et pétrolières, par l’agriculture intensive et les activités industrielles. Sans oublier que l’eau douce est également l’habitat de nombreux écosystèmes. Sa préservation ainsi que celle des milieux humides est garante du maintien de la biodiversité et des services qu’elle apporte à l’humanité.

La coopération dans le domaine l’eau

Des modes durables de gestion de l’eau existent et sont appliqués, surtout dans les pays du Nord qui en ont les moyens techniques et financiers, et la volonté politique. Ils s’appuient sur trois objectifs: économiser, assainir, mieux distribuer. Pour faire de l’accès à l’eau douce une réalité pour tous, les efforts doivent donc se concentrer sur une approche plus globale et intégrée dans la gestion de l’eau. Gretchen Kalonji, sous-directrice générale pour les sciences exactes et naturelles à l’UNESCO propose des scénarios: «Il faudra convaincre les secteurs alimentaires, hydriques et énergétiques de collaborer au lieu d’agir en solitaires. Cela exigera des institutions solides, tant au niveau national qu’international, pour satisfaire des demandes concurrentielles et désamorcer la tension lorsqu’elle se produit, comme au sujet des propositions d’extraction des gaz de schiste, d’irrigation intensive ou de construction de barrages».

Le droit à l’eau pour tous nécessite des mutations radicales dans les systèmes de gouvernance et des changements structurels dans les modes de gestion. Est-ce que l’année 2013 insufflera un mouvement de conscience suffisant pour que des décisions effectives s’imposent et se concrétisent, au-delà des recommandations émises lors des nombreux sommets et colloques internationaux de ces dernières années? Des guerres pour l’eau auront-elles lieu comme certains analystes le prédisaient dans les dernières décennies?

Sur les 70 dernières années, les cas de coopération ont été deux fois plus nombreux que les cas de conflit. Un tel constat peut surprendre. «Il y a donc de quoi se réjouir», observe Gretchen Kalonji. «Qu’il s’agisse d’un bassin fluvial, d’un aquifère transfrontalier ou de la pompe à eau d’un village rural, les exemples de coopération abondent apparemment. Et c’est tant mieux, car la demande d’eau douce augmentant en fonction de la croissance démographique et économique, nous allons devoir nous serrer les coudes encore davantage à l’avenir pour faire en sorte que cette ressource fragile et limitée suffise à tout le monde».

Alors coopérons! Et comme la réflexion c’est déjà de l’action, des journalistes d’Ensemble vont, tout au long de l’année 2013, interroger ici et ailleurs les bilans et prospectives en matière d’eau, rapporter des exemples de coopération, creuser en profondeur pour comprendre des enjeux et problématiques. Cet article est le premier de notre dossier. Une année de coopération à partager sans modération.

 

Lancement de l’Année internationale de la coopération dans le domaine de l’eau (UNESCO)