Le phénomène de la corruption est historique et représente l’une des causes des détournements des deniers publics affectant l’économie des pays en voie de développement. Un véritable fléau qu’il faut éradiquer. L’indice de perception de la corruption, publié chaque année par l’ONG Allemande Transparency International (TI), a souvent classé le Cameroun à un rang peu honorable dans le monde. En créant la Commission Nationale Anti-corruption (CONAC) en mars 2006, le Président de la République a décidé de prendre le taureau par les cornes. C’est sur cette lancée que la CONAC a élaboré et adopté la stratégie nationale de lutte contre la corruption en 2010, misant sur les médias pour constituer l’un des huit piliers de l’intégrité devant l’aider à asseoir cette politique de lutte contre la corruption.

«Afin de remplir avec crédibilité et efficacité ce rôle d’acteur national de lutte contre la corruption reconnu dans le rapport de la CONAC, confie un journaliste camerounais de la presse indépendante qui a requis l’anonymat, les médias et les journalistes camerounais doivent aussi lutter contre certaines pratiques de corruption les concernant. En fait, les médias ne sauraient constituer un pilier de lutte contre la corruption s’ils ne se débarrassaient des pratiques malsaines minant la profession des journalistes. Les médias doivent faire le ménage interne pour devenir un modèle de probité afin de pouvoir dénoncer les actes de corruption. Les médias doivent avoir les mains propres pour oser s’en prendre à ceux qui ont les mains sales.»

Les pseudo-journalistes

En Afrique centrale en général et au Cameroun en particulier, ce sont pour la plupart des individus qui entrent dans la profession par effraction. Ils sont aux ordres et au service de quelques pontes du régime. Ils surveillent comme des indicateurs les mouvements, les faits et gestes des autres «vrais» journalistes et en rendent compte à qui de droit.

«Ces pseudo-journalistes ont, pour certains, créé des organes de presse, lesquels au passage sont prioritaires dans l’attribution de l’aide publique à la communication privée ou des annonces publicitaires des entreprises publiques ou parapubliques.   Des confrères ne se font plus prier pour accepter des enveloppes des institutions ou des individus malintentionnés, ainsi que des hommes détenteurs de pouvoir politique ou économique. Dans les salles de rédaction, la bataille pour le contrôle des reportages juteux est parfois féroce», explique le vice-président de l’Union des journalistes du Cameroun (UJC), Nta A Bitang.

De l’offre à la demande

«Avant, il y avait une offre de corruption et le journaliste était courtisé. Mais maintenant, il y a une demande de corruption formulée par les journalistes eux-mêmes qui  se ruent sur un événement non plus pour assurer sa couverture mais parce qu’ils en attendent  de l’argent», ajoute celui qu’on surnomme le doyen de la presse indépendante camerounaise, Jean Baptiste Sipa.

C’est que, après publication de l’article relatif à l’événement, ces pseudo-journalistes sont les premiers à se rendre chez l’organisateur ou le chargé de la communication, le journal à l’aisselle, «comme un animal à la recherche de sa pitance». Ils peuvent passer deux, trois, voire quatre heures dans les salles d’attente ou de réception de leur hôte, pourvu que leur travail se trouve récompensé soit par un billet de 1000 francs CFA (environ 2$ américains), soit par un poulet braisé, le tout arrosé de quelques bouteilles de bière.

«Des journalistes peu ou mal formés, au statut flou, peu soucieux des règles éthiques, déontologiques et professionnelles, exposés à toute forme de corruption, transformant leurs organes d’information en instruments à gages ou en outils de chantage ou de marchandage, renchérit M. Sipa. Engluée dans ce fléau, la presse camerounaise semble se disqualifier elle-même dans la couverture et le traitement de la corruption, qui permet souvent ailleurs de renforcer le pouvoir des hommes de média considérés comme des chiens de garde ou des «watch dogs».

Gombo, communiqué final, mesures d’accompagnement, motivation, frais de taxi, 11ème heure et «item eleven» sont autant d’expressions utilisées pour désigner l’argent offert aux travailleurs des médias.

«Comment pratiquer dans ces conditions ces valeurs universelles que sont l’éthique et la déontologie?, s’est interrogé un syndicaliste ayant requis l’anonymat, citant Saint Augustin: « un minimum de bien-être est nécessaire pour la pratique de la vertu »».

Le code de bonne conduite

Dans le combat qu’il mène en vue de l’amélioration des conditions de travail et de vie des journalistes, le Syndicat des journalistes employés du Cameroun (SJEC) a intégré dans son programme la lutte contre la corruption dans le secteur des médias.

Sous sa houlette et en partenariat avec le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) et avec l’aide financière de la Délégation de l’Union européenne au Cameroun, un code de bonne conduite pour la lutte contre la corruption dans les médias au Cameroun a été débattu et adopté en décembre 2012 par une centaine de journalistes.

C’était au cours d’un atelier national organisé, à Yaoundé, la capitale camerounaise. «Les journalistes eux-mêmes refusent de se l’approprier parce que trop contraignant», alors qu’il avait été bien accueilli au sortir de l’atelier, a constaté le secrétaire général de l’Union des journalistes du Cameroun (UJC). Cette attitude ne pousse pas pour autant le SJEC à baisser les bras.

Bien au contraire, il envisage dans les prochains mois de mener une campagne nationale de vulgarisation de ce document avec l’appui de quelques partenaires nationaux et étrangers et reste confiant que l’avenir de la profession passe par son assainissement inévitable.

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L’auteur est président du Syndicat des journalistes employés du Cameroun (SJEC)

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