Lors d’une sortie en mer, vendredi dernier, à l’occasion du festival environnemental Échofête, l’équipe du journal Ensemble a repéré un pétrolier qui pourrait être l’un des premiers bateaux destinés à l’exportation du pétrole lourd des sables bitumineux à partir de Sorel-Tracy. À quelques brasses de là, un grand nombre de bélugas ont été observés et photographiés. Deux rencontres mémorables.

À l’ancre en face de Trois-Pistoles, en attente de l’autorisation et du pilote requis pour naviguer sur la voie maritime du Saint-Laurent, un immense pétrolier se distingue par un détail: il flotte bien plus haut que sa ligne de flottaison. Est-il vide? Notre équipe intriguée photographie le bâtiment. Au-dessus du traditionnel et sage avertissement, «No smoking», une autre inscription semble vouloir repousser les limites de l’ironie: «Protect the environment».

Quelques jours plus tard, Radio-Canada révèle que la compagnie Suncor a commencé à la mi-juillet l’exportation du pétrole lourd issu des sables bitumineux de l’Alberta, en l’acheminant par train au port de Sorel-Tracy, où il est chargé sur des pétroliers.

Cette multiplication de la circulation du pétrole dans les deux sens sur le fleuve menace d’autant plus ses habitants, les ressources et ses riverains, car il s’agit aussi d’un pétrole lourd plus dangereux encore pour l’équilibre fragile de l’écosystème laurentien, a expliqué à maintes reprises Émilien Pelletier, professeur spécialisé en chimie et écotoxicologie à l’Institut des sciences de la mer (ISMER) de Rimouski. En raison des courants cycliques du fleuve et du golfe, tout incident aurait des conséquences beaucoup plus durables que les accidents en haute mer. Si un déversement survenait pendant l’hiver, a souvent insisté le chercheur, il serait impossible à endiguer.

Les nombreux bélugas observés dans la zone ont étonné l’équipe d’Ensemble par leur familiarité et par leur vulnérabilité.
Photo: Nicolas Falcimaigne

À Saint-André de Kamouraska, une florissante entreprise de transformation des produits du littoral a commencé à étiqueter ses produits, vendus partout au Québec: «Produit menacé par le développement pétrolier dans le St-Laurent». Claudie Gagné, propriétaire des Jardins de la mer, rencontrée lors du festival Échofête, explique qu’une marée noire serait désastreuse pour toute l’économie reliée au fleuve, qui fait vivre les régions de l’Est du Québec, avec des milliers d’emplois.

Des produits du terroir sont dorénavant marqués d’un avertissement: «Produit menacé par le développement pétrolier dans le St-Laurent».
Photo: Nicolas Falcimaigne

La pression de l’industrie pétrolière pour l’exportation de son pétrole et la croissance de l’extraction albertaine semble à son comble au Québec, alors que les projets d’oléoducs sont bloqués en Colombie-Britannique et aux États-Unis (lire notre dossier).

Lundi, le conseil municipal de Cacouna, face à une salle comble de citoyens venus déposer une pétition de 25000 signatures contre le projet de terminal pétrolier de Transcanada, refusait encore de s’y opposer. Selon plusieurs scientifiques, le projet de port pétrolier serait une grave menace pour la survie des bélugas du Saint-Laurent, qui se reproduisent à cet endroit (lire notre article).

C’est aussi à la faveur de l’été que le gouvernement a adopté la semaine dernière un règlement controversé pour la protection de l’eau potable. C’est un règlement qui, laissent entendre plusieurs analystes, protège davantage l’industrie pétrolière contre l’eau potable que l’inverse (lire la lettre parue dans nos pages).


Une vingtaine de photos exclusives prises lors de cette sortie en mer