Retour aux sources inattendu, cette dixième édition de l’Échofête aura eu un retentissement inédit dans les rues de Trois-Pistoles. Privé du terrain habituel, près du fleuve, confisqué par l’administration du maire Jean-Pierre Rioux, le festival a défié la censure en s’installant en haut, près de l’église, du 25 au 29 juillet. Né d’une lutte politique pour empêcher la construction d’un barrage hydroélectrique sur la rivière Trois-Pistoles, le premier festival environnemental au Québec a renoué avec ses origines pour devenir le porte-étendard de ce printemps québécois devenu été.

C’est un détail du programme qui a attiré l’attention de l’empire médiatique Québecor. Philippe Duhamel, du groupe Moratoire d’une génération, devait donner un atelier intitulé Formation à l’autodéfense citoyenne, en marge du festival. La journaliste Stéphanie Gendron en a fait un article publié le 11 juillet dans l’hebdo régional, sujet repris à la une du Journal de Québec sous le titre Activistes en formation et orné d’une grande photo de Mikaël Rioux, président et cofondateur de l’Échofête.

« Les autorités croyaient que ça allait être un atelier d’Al-Qaïda qui allait se tenir en fin de semaine, qu’on allait former des militaires fous qui allaient jeter des pandas en feu sur les portes de la ville ou des choses comme ça. Mais finalement, ce sont des citoyens qui se réunissent pour parler d’écologie, d’alternatives politiques, c’est tout. Il y a eu une petite panique de ce côté-là, mais je remercie les autorités d’avoir autant fait de publicité à Échofête. »
Christian Vanasse, Zapartiste et porte-parole de l’événement

Le maire de Trois-Pistoles, Jean-Pierre Rioux, a aussitôt exprimé en entrevue à la radio CIEL-FM de Rivière-du-Loup son désaccord avec la tenue de cet atelier sur la désobéissance civile. Selon les organisateurs de l’Échofête, le maire Rioux n’a pas communiqué avec eux au préalable, et ils ont été plongés dans une tempête médiatique. Mikaël Rioux a passé des jours en entrevue avec plusieurs médias pour rectifier les faits. M. Duhamel a décidé de retirer son atelier et l’équipe de l’Échofête en a fait l’annonce publiquement.

Dans les médias, élus et chroniqueurs ont alors questionné un autre élément du programme de l’Échofête. Les organisateurs avaient invité Gabriel Nadeau-Dubois, porte-parole de la Coalition large de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (CLASSE), à s’adresser aux festivaliers. C’est d’ailleurs ce qui a donné l’idée à la CLASSE de faire une tournée des festivals pour présenter son manifeste Nous sommes avenir, a-t-on confirmé dans l’entourage du leader étudiant. La Municipalité régionale de comté (MRC) des Basques a suspendu jusqu’au mois d’août sa décision concernant le financement devant être accordé à l’Échofête par le Pacte rural.

«Une semaine avant l’événement, nous avons appris que la présence de Gabriel Nadeau-Dubois dans notre programmation fatiguait certains de nos élus et certains de nos bailleurs de fonds, explique Karine Vincent, directrice générale de l’Échofête. Ils nous ont demandé de retirer cette partie de notre programmation, sinon, dans le pire des cas, on allait être coupés de notre financement et coupés de notre soutien technique.» Le 19 juillet, les organisateurs de l’Échofête ont été convoqués à une rencontre devant se tenir à la Ville de Trois-Pistoles le lundi suivant, 23 juillet.

Gabriel Nadeau-Dubois a parlé pendant une demi-heure aux quelque 300 personnes rassemblées sur le site, abordant les enjeux de l’heure et présentant le manifeste de la CLASSE. Il a ensuite répondu pendant 45 minutes à des questions posées par des personnes de tout âge et de toute condition socio-économique, en présence de nombreux médias.
Photo: Nicolas Falcimaigne

L’alternative

Devant l’éventualité de se voir privés du terrain habituel appartenant à la Ville, les bénévoles n’avaient pas pu commencer le travail d’installation du site. «Pendant la fin de semaine, on s’est revirés de bord, relate Mikaël Rioux. On a eu l’offre de Victor-Lévy Beaulieu d’utiliser son terrain de la rue Pelletier. Question logistique, qu’on apprenne que le terrain est confisqué ou non le lundi matin, il était trop tard pour installer le site à l’endroit habituel.»

Le vendredi 20 en fin de journée, les médias ont reçu, sous embargo, le communiqué qui annonçait la décision devant être prise à l’issue de la rencontre prévue le lundi suivant avec les organisateurs de l’Échofête. L’information s’est rendue aux oreilles de ceux-ci et, constatant que la décision était déjà prise, ils ne se sont présentés à la réunion que pour déposer leur réponse, qu’ils ont ensuite présentée en conférence de presse. Parmi les six signataires du communiqué, le Centre local de développement (CLD) des Basques, la Société d’aide au développement des collectivités (SADC) des Basques, la MRC des Basques, la Municipalité de Notre-Dame-des-Neiges, la Ville de Trois-Pistoles et la Caisse Desjardins L’Héritage des Basques, seule cette dernière s’est désistée le lendemain, estimant que son rôle n’était pas de prendre position politiquement.

Le communiqué confirmait le financement déjà accordé pour l’année en cours, mais menaçait de le retirer l’année suivante si le festival persistait dans son intention d’accueillir Gabriel Nadeau-Dubois. «Pour nous, ça a été un cas de censure, dénonce Karine Vincent. On a senti un non-respect, aussi, des dix ans de travail qu’on a mis dans ce festival-là.» La réplique des organisateurs de l’Échofête souligne que la rencontre ne permettait pas de «négocier de bonne foi», le communiqué de presse «étant déjà transmis aux médias». Ils y annoncent le maintien de la visite de M. Nadeau-Dubois et le déplacement du festival sur un terrain qui n’appartient pas à la Ville, celui du Caveau-Théâtre, rue Pelletier.

Entourée de plusieurs membres de l’équipe, la directrice générale Karine Vincent a annoncé l’ouverture de la dixième édition de l’Échofête, malgré la controverse, sous le thème Dix ans d’alternatives.
Photo: Nicolas Falcimaigne

Des histoires pas possibles…

En offrant le site de la rue Pelletier à l’Échofête, l’auteur et dramaturge Victor-Lévy Beaulieu et les Productions théâtrales des Trois-Pistoles ont annoncé par solidarité la suspension des représentations de la pièce de l’été, La Guerre des clochers, pendant la semaine de l’Échofête. Les organisateurs du festival ont au contraire demandé que la pièce ne fasse pas grève, tant son propos historique illustrait la réalité actuelle. Cette production monumentale, basée sur un conflit réel qui a marqué Trois-Pistoles au milieu du XIXe siècle, avait déjà atteint un point de rupture financier. Les comédiens refusaient de poursuivre si un chèque visé ne leur était pas adressé sous 24 heures, et ils ont fait appel à l’Union des Artistes (UDA) pour faire respecter cet ultimatum.

Selon M. Beaulieu, le versement de subventions de 25000$ promises par le député libéral Jean D’Amour, 6000$ promis par la Ville de Trois-Pistoles et 6500$ accordés par le CLD et la SADC, aurait pu permettre de joindre les deux bouts jusqu’aux représentations de la semaine suivante qui s’annonçaient à guichet fermé. Le célèbre auteur a dénoncé par voie de communiqué, notamment publié par Vigile.net, l’annulation de ces subventions, qu’il décrit comme une «vengeance politique». Il menace d’engager des poursuites judiciaires.

C’est dans cette atmosphère surréaliste que l’incroyable nouvelle est tombée: la saison théâtrale était terminée pour La Guerre des clochers. Le conteur et vice-président des Productions théâtrales, Mathieu Barrette, reste à la barre de son spectacle La Maison hantée, qui était une production indépendante. Il montera sur les planches de la Forge à Bérubé jusqu’à la fin de la saison.

Conteur et vice-président des Productions théâtrales, Mathieu Barrette interprète sa pièce La Maison hantée.
Photo: Nicolas Falcimaigne

Le silence des élus

Le maire Jean-Pierre Rioux a refusé de répondre aux questions du journal Ensemble, disant avoir fait le tour de la question dans une lettre publiée le 24 juillet dans Le Devoir. Il y affirmait que le festival Échofête devait son existence à la Ville de Trois-Pistoles, qui l’avait soutenu depuis le début. Il y prétendait avoir reçu des menaces de citoyens prêts à suspendre le paiement de leurs taxes l’année prochaine «selon les mêmes principes de désobéissance civile et de contestation d’utilisation des deniers publics». M. Rioux ajoutait que le conseil municipal était unanime à l’effet que «la tenue de ces ateliers n’avait pas sa place. Si les organisateurs de l’Échofête ont à cœur le respect de l’environnement, ils doivent l’avoir avant tout pour une partie de la population qui ne partage pas les mêmes valeurs et orientations politiques».

Dans la même lettre, le maire résumait ainsi le verdict: «Échofête a retiré son atelier portant sur la désobéissance civile, mais maintient son atelier de la CLASSE. Lundi 23 juillet [hier], nous avons soumis à nouveau au CA de l’Échofête notre position et ils auront une décision à prendre. S’ils ont des droits, ils ont aussi des devoirs envers la population! C’est elle qui paie!»

En octobre 2009, lorsqu’il a accordé une longue entrevue électorale à l’auteur de ces lignes, Jean-Pierre Rioux terminait la description de son programme en s’inquiétant de la «démobilisation de notre jeunesse qui veut revenir ici s’installer en région», advenant la réalisation de la minicentrale sur la rivière Trois-Pistoles, enjeu qui a donné naissance à l’Échofête. Si «tu démobilises ta jeunesse qui veut venir prendre sa place, on a un sérieux problème de société dans notre milieu», concluait-il.

Bertin Denis, préfet de la MRC des Basques, a également refusé l’entrevue proposée par le journal Ensemble. Il a dit s’en tenir au communiqué commun du 23 juillet. En octobre 2009, alors qu’il venait d’être élu par acclamation, le nouveau préfet a décrit son programme lors d’une longue entrevue, aussi avec l’auteur de ces lignes. «Le préfet, ça doit être le rassembleur», disait-il.

L’émeute n’a pas eu lieu rue Pelletier

Les élus peuvent se rassurer. L’émeute n’a pas eu lieu malgré leur absence. Gabriel Nadeau-Dubois a parlé pendant une demi-heure aux quelque 300 personnes rassemblées sur le site, abordant les enjeux de l’heure et présentant le manifeste de la CLASSE. Il a ensuite répondu pendant 45 minutes à des questions posées par des citoyens de tout âge et de toute condition socioéconomique, en présence de nombreux médias.

«Un des rôles de l’État et des municipalités, c’est notamment de financer la culture, de favoriser le débat et l’implication citoyenne, a-t-il confié en entrevue. Dans cette mission-là, l’État doit s’assurer d’avoir le moins possible de préférence idéologique. C’est important de laisser la liberté d’expression aux gens qui montent sur une scène. Nous, on a trouvé l’invitation naturelle, pas du tout déplacée, et je pense que ce à quoi on assiste dans les faits, c’est à un cas de censure politique.»

La fête s’est poursuivie et le leader étudiant a finalement passé toute la fin de semaine à Trois-Pistoles. «Les autorités croyaient que ça allait être un atelier d’Al-Qaïda qui allait se tenir en fin de semaine, qu’on allait former des militaires fous qui allaient jeter des pandas en feu sur les portes de la ville ou des choses comme ça, s’étonne Christian Vanasse, Zapartiste et porte-parole de l’événement. Mais finalement, ce sont des citoyens qui se réunissent pour parler d’écologie, d’alternatives politiques, c’est tout. Il y a eu une petite panique de ce côté-là, mais je remercie les autorités d’avoir autant fait de publicité à Échofête. C’est vraiment formidable. Ça m’a permis de découvrir le beau côté des Pistolois, c’est-à-dire leur résistance festive et aussi la solidarité.»

Pour Mikaël Rioux, le festival est là pour rester à Trois-Pistoles, et il fait appel aux dons sur le site Internet echofete.ca. «On va viser l’autonomie le plus possible, moins dépendre des revenus publics, moins dépendre des commanditaires aussi, essayer de pouvoir faire un peu plus ce qu’on veut, dans le fond. Si le CLD et la Ville de Trois-Pistoles veulent nous donner de l’argent public, on trouve que ça a sa place. Mais si on est menacés, on ne reculera pas, c’est bien clair.»

——
Gabriel Nadeau-Dubois a quitté ses fonctions de porte-parole de la CLASSE au terme de la tournée qui l’a amené à présenter le manifeste partout au Québec. Son passage à Trois-Pistoles est donc l’une de ses dernières apparitions publiques à ce titre

Lire ici sa lettre de démission, transmise aux médias le 8 août en fin de soirée.