Samedi soir dernier à l’Échofête de Trois-Pistoles, le même soir où Bernard Adamus allait se donner en spectacle, Christian Vanasse s’est avancé au micro connaissant fort bien à quel public il avait affaire. Si persuadé était-il de la nature de ce public et de sa complicité avec ce dernier que le Zapartiste se permit un brin d’autodérision. Le spectacle prenait lieu dans le contexte d’un mélodrame local qui insuffla chez les spectateurs un esprit de questionnement commun. La venue de Gabriel Nadeau-Dubois, la confrontation entre Victor Lévy-Beaulieu et le maire Jean-Pierre Rioux, la fermeture du Caveau-Théâtre, la déclaration imminente des élections à venir et même le prolongement de l’autoroute 20, là furent tous des sujets qui alimentaient l’esprit du moment alors que les fêtards, tous de carré rouge vêtus, s’approchaient de la scène.

Christian Vanasse, étant apparemment un bon juge de l’esprit du temps, a livré une première partie qui s’adressait spécifiquement à tous ces étudiants qui, depuis février, ont vécu une initiation aux longues et parfois difficiles délibérations des organes de la gauche québécoise.

Le ralliement par l’autodérision

Caricaturant tour à tour certains des archétypes gauchistes les plus parlants, Vanasse dépeint un portait tantôt navrant et tantôt héroïque de ce qu’on pourrait nommer le nouveau soubresaut de la gauche au Québec: l’artiste engagé qui veut se donner bonne image, l’anarchiste enragé qui veut tout détruire sans penser au lendemain, l’intellectuel et le philosophe embourbés dans de nébuleuses abstractions, mais aussi le citoyen indigné et le syndicaliste expérimenté qui tous deux parlent franchement et voient clairement au travers des mirages évanescents du pouvoir en place.

Christian Vanasse a présenté le monologue du Cube, par Les Zapartistes. – Photo: Nicolas Falcimaigne

Après avoir à la fois critiqué et s’être réconcilié avec la gauche au sein d’un même sketch, Vanasse renchérit par un exposé visant à rassembler tous ces personnages qui, se revendiquant d’une même mouvance sociale, peinent néanmoins à transcender leurs querelles intestines. Vanasse donne ici à toutes ces parcelles d’une gauche parfois morcelée un vecteur pouvant les lier à nouveau: Power Corporation et ces autres maîtres du monde face auxquels nous sommes véritablement tous dans le même bateau.

Le bohème sédentaire

Le rassemblement fut ainsi le mot d’ordre de cette soirée festive. Suivant le diatribe incendiaire de Vanasse, Bernard Adamus et ses musiciens arrivèrent sur scène avec toute la nonchalance de héros populaires indifférents au pouvoir des élites. L’effet fut instantané. Les cœurs et les esprits s’alignent facilement lorsqu’on leur présente un symbole perméable à maintes projections et favorable au foisonnement des désirs.

Bernard Adamus incarne tantôt la réappropriation de la musique folk américaine, tantôt l’idéal populaire de la classe des ouvriers et des marginaux, tantôt l’étrange mariage typiquement québécois de la vie bohème et de l’enracinement sédentaire. Adamus ne parle pas de politique, il n’écrit pas de manifeste et il ne demande pas à ce qu’on soit d’accord avec ses idées pour aimer sa musique. Il dresse en paroles le portrait d’une vie telle que vue «sur le terrain». La musique qui donne vie à ces paroles est d’un esthétisme, qui pour des raisons largement indicibles, touche ceux et celles qui ont soif d’un Québec vivant, démocratique, politisé, conscientisé, critique et peut-être surtout, authentique.

Peut-être voit-on en Bernard Adamus un symbole de vérité, un symbole d’une vie vécue pleinement dans l’atteinte de ses rêves. Peut-être y voit-on ainsi la possibilité d’une vie collective tout aussi authentique, tout aussi prête à réaliser son infini potentiel au-delà de la peur, de la gêne et de la paresse. Il ne fut donc pas surprenant de voir le public s’agiter de plaisir et d’enivrement partagé alors que le groupe d’Adamus enchaînait les chansons, visiblement bien rodées.

Bernard Adamus en est à son dernier mile dans la tournée de l’album Brun lancé en 2009. Le 3 août prochain, il livrera le dernier spectacle de cette tournée qui aura parcourue tous les racoins de la province. S’en suivra la sortie d’un nouvel album qui saura, on s’en doute, faire résonner les cordes sensibles de ce nouveau public de plus en plus conscient de sa place dans le monde.

Les échofestivaliers ont assisté à l’une des dernières représentations du spectacle Brun, avant le nouvel album à paraître prochainement. – Photo: Nicolas Falcimaigne

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Gabriel Nadeau-Dubois a quitté ses fonctions de porte-parole de la CLASSE au terme de la tournée qui l’a amené à présenter le manifeste partout au Québec. Son passage à Trois-Pistoles est donc l’une de ses dernières apparitions publiques à ce titre.

Lire ici sa lettre de démission, transmise aux médias le 8 août en fin de soirée.