Victor-Lévy Beaulieu est un très piètre homme de théâtre. Sa pièce La Guerre des clochers, présentée au Caveau Théâtre de Trois-Pistoles depuis le début du mois de juillet, a fait long feu. Peut-être croyait-il, en présentant une fable à propos des chicanes de village opposant les personnages de Cyriac Bérubé et Thadée Beauchemin, qu’il arriverait à faire réfléchir ses concitoyens à propos de la vie en communauté. L’aventure est terminée et le Caveau Théâtre a la clé dans la porte. Lucide, VLB a levé le camp pour être remplacé par meilleur que lui. Car, ils en sont maintenant pleinement conscients, Pistolois et Pistoloises sont les hôtes d’une étoile montante de la scène québécoise.

Jean-Pierre Rioux, maire de Trois-Pistoles et président de l’Association libérale de Rivière-du-Loup, est un très grand homme de théâtre. La pâle querelle de Bérubé et Beauchemin, il l’a prise et projetée sous le ciel de Trois-Pistoles. Érudit, il semble avoir longuement médité les écrits d’Antonin Artaud, un des grands théoriciens du théâtre du vingtième siècle et chantre du «Théâtre de la Cruauté». Ce dernier, écrivait Artaud, «se propose de recourir au spectacle de masses; de rechercher dans l’agitation de masses importantes, mais jetées l’une contre l’autre et convulsées, un peu de cette poésie qui est dans les fêtes et dans les foules, les jours, aujourd’hui trop rares, où le peuple descend dans la rue».

Alors voilà. Si, le temps du trajet entre l’église et le théâtre, les comédiens de La Guerre des clochers jouaient en plein-air, l’erreur aura été de ne pas les y faire rester. Beaulieu appartient à cette génération qui croyait pouvoir faire du théâtre entre quatre murs.

En grand metteur en scène, le maire Rioux ne s’est pas contenté de chicanes fictives et abstraites. Il a choisi le choc d’une communauté avec elle-même. Plutôt que de tenter d’étouffer la contestation populaire en une plate noyade, il a préféré le feu. Une tentative de stérilisation par le feu et durant une fête, pourquoi pas, pour que l’effet se déploie pleinement.

Victor-Lévy Beaulieu a parlé d’une «vengeance politique», d’une commande provenant des hautes sphères du Parti libéral. Il est certain qu’on ne peut que noter le synchronisme entre le coup de la Ville de Trois-Pistoles porté à l’Échofête et celui du député Jean d’Amour qui a refusé de verser une subvention de 25000$ promise pour le vingtième anniversaire du théâtre qui devait se tenir l’an prochain. Soit.

Mais s’il est légitime de voir ici une vengeance, elle n’a rien de politique. Voilà les commentaires d’un homme beaucoup trop terre-à-terre pour ce qu’est devenu le théâtre actuel, celui qui embrase les esprits, radicalise les foules et enflamme les discours. C’est là une manifestation de l’art, l’art incendiaire du Parti libéral du Québec.

Pourquoi laisser un festival régional unique en son genre et une production théâtrale ambitieuse suivre leur cours normalement? Pourquoi laisser des citoyennes et des citoyens partager ensemble, durant quelques jours, leurs opinions, leurs idées, leurs rêves et le beau temps? Pourquoi, lorsqu’on est un grand artiste, laisserait-on une protestation pacifique suivre son cours alors qu’on peut tout simplement y mettre le feu?

Le feu brûle. Cela, étrangement, les incendiaires le savent habituellement mieux que les incendiés. Trop souvent, on a vu des explosions de rage discréditer des revendications populaires et réduire à néant d’amples mouvements sociaux. Ici et maintenant, cela n’est plus vrai. La rue, largement pacifique, l’a montré à Montréal et dans d’autres villes depuis le début de l’année.

À Trois-Pistoles aussi, on n’a pu que constater le ton posé et conciliant des organisateurs de l’Échofête devant les attaques peu subtiles d’une certaine élite locale ainsi que la solidarité qui a permis au festival de se réinstaller sur le site du Caveau Théâtre. L’idéal défendu depuis une décennie par l’événement s’en trouve forcément grandi, au détriment de l’art diront certains…