Les coopératives ne permettent pas seulement une gestion démocratique, elles se distinguent aussi par la pérennité de leur structure, en dépit de la fluctuation de leurs ressources et des changements de direction. C’est ce que sont venus démontrer, à travers leurs témoignages, les membres de trois coopératives fondées il y a plus de dix ans, dans le cadre de la soirée ¡Viva Coop!, organisée le 15 mai 2012 à l’espace de travail partagé Ecto.

Mardi dernier, à l’occasion d’un 5 à 7 festif, l’espace Ecto a accueilli les membres de trois coopératives d’expérience dans son loft lumineux de la rue Roy: un lieu de programmation artistique multidisciplinaire, une équipe de consultants en organisation, ainsi que le plus gros réseau de détail implanté en milieu universitaire. Trois entreprises dont les aléas du parcours n’ont jamais remis en question la structure collective.

Coop UQAM, au service des étudiants

30 ans d’existence, avec, à son actif, un chiffre d’affaire de 14 millions de dollars, plus de 22 500 membres, 75 employés et sept points de vente permanents: Coop UQAM est la plus importante coopérative en milieu universitaire au Québec, membre du réseau Coopsco. «Les étudiants avaient besoin d’une coopérative pour répondre à leurs besoins en livres scolaires, papeterie, indique Andrée Moro, directrice générale de la coopérative, pour ne pas qu’ils aient à chercher ces produits à un prix plus élevé ailleurs, et aussi pour qu’ils puissent se les procurer au moment où les cours commençaient.»

Par la suite, les secteurs de vente se sont élargis. En plus de ses librairies, le réseau Coop UQAM compte désormais une boutique informatique, une boutique de produits d’arts et un magasin Omer de Serre. La coopérative fabrique aussi des produits promotionnels. «On n’en fait pas que pour l’UQAM, précise Andrée Moro, mais aussi pour la Caisse d’économie solidaire: des T-shirts, des papiers, etc.»

Toutes ces activités n’ont jamais éclipsé sa mission initiale d’aider les étudiants. Au cours des 18 dernières années, Coop UQAM a versé 300 000 dollars à la fondation de l’UQAM, qui ont été redistribués sous la forme de bourses pour les étudiants. C’est sans compter son rôle majeur d’insertion sociale: non seulement les employés s’y voient-ils offrir des horaires flexibles et un travail à proximité de leur lieu d’étude, mais les étudiants étrangers peuvent y travailler légalement, ce qu’ils ne sont habituellement pas autorisés à faire en-dehors de l’université.

Interface, l’accompagnement pluridisciplinaire

Cette même polyvalence caractérise l’évolution de la firme de consultants Interface, qui offre des services d’accompagnement organisationnel aux entreprises collectives ou à celles dotées d’un volet social. Composée de quatre collaborateurs, cette coopérative a vu le jour en 1998, peu après la tenue du Sommet sur l’économie et l’emploi. «Il fallait à ce moment-là des outils d’accompagnement techniques pour la mise en place de différents chantiers», explique Stéphane Guérard, membre consultant de la coopérative.

Depuis, l’entreprise a resserré son mandat. «On a tracé le chemin de l’accompagnement des structures, essentiellement des structures collectives – OBNL, coopératives et autres -, depuis l’idée de faire des affaires jusqu’à toutes les autres phases de développement: planification stratégique, gestion de conflit, accompagnement post-mortem, etc.»

Le champ d’intervention d’Interface se divise en trois volets, dont le premier est la vie des organisations, qui comprend l’étude de faisabilité, le marché, le plan d’affaire, le financement. À cela s’ajoutent des services d’évaluation-recherche et un pôle de formation-animation.

L’entreprise peut ainsi être sollicitée pour former les membres de la relève en cas de reprise d’une entreprise sous forme coopérative. En témoigne l’exemple d’un village des Laurentides, en perte de croissance démographique, où le propriétaire du dernier dépanneur était décédé. «On voulait recruter 100 membres-utilisateurs pour lancer la coop, raconte Stéphane Guérard. On a fait une réunion publique, et on a réussi à rassembler 175 personnes. Maintenant, le dépanneur a été repris, les chiffres s’améliorent, la coop va racheter le fonds de commerce», se réjouit-il.

Le consultant souligne toutefois que cet accompagnement ne se fait pas toujours sans heurts: «Les propriétaires qui accouché de leur entreprise ont à son endroit un lien affectif très fort, ainsi qu’un lien financier: c’est leur fonds de pension. De l’autre côté, on veut propulser les employés comme gens d’affaire. Il y a un fossé psychologique pour eux à franchir pour qu’ils se disent: « Ok, on va se serrer les coudes, on va se mettre ensemble pour acheter l’entreprise. » Après, il faut travailler des deux bords. Autant du côté du vendeur, pour s’assurer que la transition puisse se faire dans les meilleures conditions, y compris financières, puis avec les employés en leur disant: « Là si vous ne faites rien, votre outil de travail sera racheté par quelqu’un d’autre, par des organes de décision au Québec, en Ontario ou ailleurs, donc c’est important de se mobiliser ».»

Un café aux saveurs variées

La Coopérative des travailleuses et travailleurs du Café Chaos s’est fixé pour mission de devenir un fer de lance de la relève artistique alternative. Ouvert en 1995, le café présente chaque semaine une programmation éclectique, touchant à des domaines aussi variés que l’audiovisuel, la musique, le théâtre et la poésie.

Il n’en a pas toujours été ainsi. «À la base, le Café Chaos était un restaurant végétarien», rappelle Nady Larchet, membre du conseil d’administration de la coopérative.

C’est dans l’adversité que l’esprit coopératif du lieu s’est forgé: «En 2003, on a dû déménager de manière assez précipitée. La mission de trouver un nouveau local a duré trois semaines», raconte l’ancienne coordonnatrice de la salle. «L’équipe a travaillé fort pour construire une salle de spectacle avec l’aide de certains organismes et la contribution financière de certains fournisseurs. Mais on paie encore aujourd’hui les frais de ce déménagement», avoue-t-elle.

Cette précarité financière se manifeste aussi dans l’instabilité de la structure de gestion. Nadine Larchet confie avoir connu trois équipes et trois conseil d’administration différents depuis cinq ans qu’elle y travaille. «Le Café Chaos a traversé des périodes difficiles, autant financièrement qu’au niveau de l’image qu’il renvoyait à ses fournisseurs, mais il s’est rattrapé avec les années.»

À propos des membres travailleurs, elle explique qu’«il y en a qui sont là depuis le début, ça fait 17 ans qu’ils s’investissent. D’autres encore sont partis pendant plusieurs années et reviennent, 10 ans plus tard… et là on retrouve les valeurs qu’on avait au début! C’est vraiment incroyable de voir qu’une entreprise peut perdurer au fil du temps avec des valeurs différentes», conclut la jeune femme.