Au lieu d’attendre le «promoteur» qui viendra «sauver» le village avec ses centaines d’emplois, beaucoup de localités choisissent de créer leurs coopératives. La MRC de Papineau, avec ses 23000 habitants, compte une quinzaine de coopératives dont huit de solidarité. Pourquoi donc tant de coopératives sur un territoire aussi peu peuplé? Après enquête auprès de certains érudits du coin, il semblerait que les habitants de la région de La Petite-Nation – La-Lièvre misent davantage sur l’entraide que sur l’argent pour atteindre le bonheur!

Les coopératives se développent pour faire face à un besoin de la communauté dans laquelle elles voient le jour, bien sûr, mais aussi comme une alternative consciente au système économique en place. Elles incitent en fait à la réflexion sur un nouveau mode de vie.

C’est ce que nous explique Karine Desjardins, native de Boileau et détentrice d’une maîtrise en développement régional. Elle poursuit présentement un doctorat en sciences sociales appliquées avec la Chaire de Recherche du Canada. Jusqu’à l’an dernier, elle était présidente de la Coopérative de solidarité du Restaurant-dépanneur de Boileau, qu’elle a contribué à créer. Elle croit fermement que «si l’on veut pallier l’économie néo-libérale, ça prend un changement de logique économique. Il faut que les acteurs s’unissent au lieu de compétitionner. Il faut une cohésion sociale au cœur du projet.»

Et si on changeait de logique économique…

«Quand le dépanneur a fermé il y a deux ans, il y a eu chez nous un besoin criant, explique Mme Desjardins. Il n’y avait plus de restaurant ni de dépanneur à moins de 15 km de Boileau!»

Après bien des efforts, les citoyens regroupés en coopérative ont décidé  d’acheter la bâtisse de l’ancien dépanneur: «Et ce n’était pas une question d’argent, dit-elle, mais c’était tellement enrichissant. Cela tient davantage de la réalisation personnelle que de tout autre chose.»

Selon  Mme Desjardins, il y a trois axes à l’avenir d’une région: milieu de vie, territoire et gouvernance. «Il faut œuvrer à redéfinir notre approche du territoire, continue-t-elle. À redéfinir la valeur anthropologique d’un lieu. Le collectif, les services de proximité, les vitrines d’artisans, les lieux d’échanges sont tous de bons moyens de faire de l’économie dans une région éloignée comme la MRC de Papineau. On se demande: “Que pouvons-nous offrir?”, au lieu de se demander: “Comment faire de l’argent?” Il y a complémentarité de l’offre au lieu de compétition.»

Le «type» communautaire

«Certains services, affirme pour sa part Martin Van den Borre, conseiller à la Coopérative de développement régional (CDR) Outaouais-Laurentides, ne sont viables qu’avec le soutien de tous sur le plan économique.»

Mettant de l’avant que, dans la MRC de Papineau, le revenu personnel moyen est moins élevé que pour l’ensemble du Québec, il déduit que cette région s’appuie beaucoup sur l’entraide pour satisfaire ses besoins. Il constate en effet que, dans cette région, quasiment toutes les coopératives sont multigénérationnelles et encouragent la mixité hommes femmes. Ouvertes à toute la communauté, ce sont pour la plupart des lieux de rassemblement et le taux de participation y est très élevé. Ce sont en grande majorité des coopératives de solidarité au membership très ouvert. «On peut donc dire, affirme-t-il, que ce qu’il y a de particulier dans la région, c’est que les coopératives qui y ont vu le jour sont des projets qui ratissent large et que le développement est de style communautaire.»

Ainsi, y dénombre-t-on, entre autres coopératives, deux établissements de santé, une auberge de jeunesse, un marché public, une cafétéria d’école secondaire, un resto-dépanneur, un camp de classes nature, un service de travaux à domicile… Toutes des coopératives de solidarité. «Les villages doivent répondre à des besoins grandissants de services de proximité, explique M. Van den Borre. Depuis une quinzaine d’années, plusieurs aspects économiques ont changé. L’agriculture est passée de la grande culture et la production laitière à une agriculture plus diversifiée. Le secteur touristique est lui aussi en mutation. On est passé à une économie de villégiature et de tourisme. Ce qui a créé de nouveaux besoins, une nouvelle forme de commercialisation.»

L’entraide, ça rend heureux!

«L’entraide a un effet biologique!», croit quant à lui Marc Ferron, massothérapeute, chercheur et anthropologue installé à Papineauville depuis 25 ans. Il s’appuie sur les données récoltées lors de sa thèse de maîtrise déposée en 2011 et qui traitait de la relation entre la qualité de vie et la santé, en particulier dans la MRC de Papineau.

Les statistiques révèlent en effet que, dans la MRC de Papineau: «40% des gens s’entraident, dit-il. C’est 8% de plus qu’ailleurs au Québec… La variable principale en ce qui concerne la santé est l’adaptation à l’environnement. La santé n’est pas individuelle. C’est aussi une richesse collective. Notre richesse collective dépend des stratégies politiques orientées vers les besoins des gens et non des décideurs.»

Selon Marc Ferron, si le capital social est déterminant en ce qui concerne la santé, les réseaux de relations et le sentiment d’appartenance à un groupe le sont tout autant. «Les statistiques évacuent ces facteurs, se désole-t-il. La qualité de vie est liée au corps social et à l’environnement social. L’entraide et les réseaux sociaux jouent un rôle protecteur sur la santé. Le fait de mettre les besoins matériels avant toute chose empêche les gens d’orienter leur vie vers des pratiques qui leur apporteraient la santé: repos, alimentation, espace et temps.»

Si l’entraide et le réseautage sont des facteurs dominants, dans cette région où le revenu personnel moyen est plus bas qu’ailleurs au Québec, mais où la santé est souvent meilleure selon les données qu’il a recueillies, c’est que: «La solidarité est un facteur majeur d’adaptation au stress social. Ce qui nous mène à une théorie de la santé relativement nouvelle: l’état de santé d’une personne est le témoignage de sa capacité d’adaptation à son milieu. Et s’adapter ici, ça veut dire s’impliquer, être relié à la communauté.»

Il faut donc continuer, dit-il, «à redistribuer la richesse et à soutenir le filet social. On a avantage à créer une société plus égalitaire parce que l’entraide a un effet réducteur sur le stress négatif. Ça rend heureux!» Ce qui est ou devrait être, croit-il, notre «but ultime» dans la vie.