Après avoir généré des profits de 1,7 milliard de dollars et versé au gouvernement fédéral 1,2 milliard en dividendes et en impôts entre le milieu des années 90 et le début des années 2010, selon le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP), Postes Canada risquerait d’enregistrer une perte d’un milliard de dollars en 2020. L’alarme est sonnée dans une étude publiée en août 2013 par le C.D. Howe Institute, un institut «indépendant» qui est soutenu notamment par le Conseil Canadien pour les Partenariats Public-Privé et par… UPS Canada! On savait déjà que la question de la rentabilité des services publics est un faux débat, mais dans ce cas-ci c’est un débat qui frôle la fraude intellectuelle.

La note du C.D. Howe Institute accompagnant la parution de l’étude propose au gouvernement fédéral d’offrir plus de contrats en sous-traitance et de réduire graduellement le monopole public sur les services postaux afin d’éviter des mises à pied massives à Postes Canada, citant une importante perte financière future, le déclin du volume de livraison du courrier, les coûts élevés du maintien du service universel et le déficit croissant du régime de retraite.

L’étude en question fait notamment référence à une autre étude «indépendante», publiée en avril 2013 par le Conference Board du Canada. L’étude en question a été commandée… par Postes Canada, dont le président-directeur général, Deepak Chopra, siège au Conseil d’administration du Conference Board.

Si rien n’est fait pour corriger le tir, nous disent en choeur les instituts de recherche, la direction de Postes Canada, le gouvernement fédéral et les commentateurs affairistes, la société d’État pourrait sombrer dans le rouge.

Il faudrait donc accepter la seule solution raisonnable et responsable, soit la rationalisation des services. Il n’y aurait aucune alternative sérieuse.

Or, un rapport du Canadian Centre for Policy Alternatives (CCPA), publié le 9 octobre dernier, se penche sur «un large éventail de modèles de services bancaires postaux offerts dans de nombreux pays» qui permettrait à Postes Canada d’élargir son offre de services pour générer des revenus autonomes et potentiellement des surplus.

Ces surplus pourraient éventuellement renflouer le déficit anticipé de Postes Canada, si déficit il y a. En effet, le STTP conteste les chiffres avancés par le Conference Board et souligne que les pertes enregistrées en 2011, première année déficitaire en 16 ans à Postes Canada, «sont grandement attribuables à des coûts ponctuels, soit le règlement d’un litige en matière d’équité salariale et la hausse des prestations de retraite due à un ajustement apporté au régime de retraite». Quant au déficit allégué de 250 millions en 2012, chiffre sur lequel s’appuie les calculs de pertes hypothétiques d’un milliard d’ici 2020, le STTP soutient que Postes Canada aurait plutôt enregistré un bénéfice avant impôt de 98 millions.

Non seulement on nous assomme avec la propagande fallacieuse et les fausses prémisses de l’austérité, mais on ignore superbement les alternatives à portée de la main.

On a aussi la mémoire courte

En 2011, la ministre du Travail, Lisa Raitt, déposait une loi spéciale pour forcer le retour au travail des grévistes de Postes Canada qui refusaient les concessions draconiennes que voulaient imposer la direction de la société d’État (lire notre article). Au nom de la protection des «intérêts supérieurs de l’économie canadienne et de la population canadienne», la ministre Raitt exigeait la reprise complète du service après quelques jours de grève tournante et près d’une semaine de lock out.

Suite à une plainte du STTP adressée à l’Organisation internationale du travail (OIT), cette- dernière avait alors jugé injustifiée la loi de retour au travail imposée aux employés de la société de la Couronne, estimant que les services postaux ne représentent pas des «services essentiels» à proprement parler.

L’OIT précisait cependant dans son récent rapport sur la liberté syndicale, cité par la Presse Canadienne dans Le Devoir du 3 avril 2013, que «l’interruption prolongée des services postaux […] peut par exemple avoir de graves répercussions pour les entreprises et affecter directement les individus (en particulier les allocataires des indemnités de chômage ou d’aide sociale et les personnes âgées qui dépendent du versement de leur pension de retraite)».

Le gouvernement Harper qui avait invité l’OIT a rejeter la plainte n’a pas daigné réagir.

Aujourd’hui ministre des Transports et responsable de Postes Canada, Lisa Raitt appuie le plan d’action en cinq points annoncé le 11 décembre dernier visant à assurer «le retour à la viabilité financière de la Société d’ici 2019 et le maintien de son rôle de catalyseur des échanges et du commerce». Ce plan prévoit notamment la fin de la livraison à domicile du courrier d’ici 2019, une hausse des tarifs, l’ajout de bureaux concessionnaires, une rationalisation des opérations et un réduction des coûts de main-d’oeuvre.

La restructuration annoncée des services postaux va donc se faire aux frais des usagers et des employés et au bénéfice des sous-traitants.

S’agit-il d’un prélude à la privatisation. Après les chemins de fer, privatisés en 1995, il serait dans la logique inexorable du virage néolibéral d’éventuellement privatiser les postes. Plus tard viendront les ponts, les aéroports, etc.

Ceci n’est évidemment que pure spéculation.

Une chose par contre est claire: ce que font les actuellement les gouvernements (à toutes les échelles), relayés avec plus ou moins d’enthousiasme par les grands médias, c’est de faire accepter dans l’opinion publique la logique de rentabilité et de marchandisation des services publics.

Et si on demandait aux Forces canadiennes de renouer avec la rentabilité, de retourner à la viabilité financière ou de retrouver l’équilibre budgétaire?

Peut-être verrait-on alors les forces aériennes organiser des ventes de chocolat au porte à porte pour financer l’achat de leurs F-35.

Au moins là, on aurait la paix pour un bon bout de temps!