À l’orée du Sommet international des coopératives 2014, qui se tient à Québec cette semaine, de nombreux coopératistes ont répondu à l’appel du Conseil québécois de la coopération et de la mutualité, qui organisait dimanche et lundi le Rendez-vous Innovations et découvertes. Parmi les conférences et ateliers, une rencontre des coopératives de travailleurs de par le monde a retenu l’attention. Pour en savoir plus, Ensemble s’est entretenu avec Isabel Faubert Mailloux, conseillère stratégique au développement pour le Réseau de la coopération du travail du Québec.

Des dizaines de coopératistes ont assisté à ce Rendez-vous, en provenance de la France, du Pays Basque, de l’Argentine,  de la Colombie et de la Pologne, tout comme des fédérations de coopératives québécoises.

Nicolas Falcimaigne, journal Ensemble : Mme Faubert Mailloux, comment voit-on le développement des coopératives de travail ailleurs dans le monde?

Isabel Faubert Mailloux, conseillère stratégique au développement pour le Réseau de la coopération du travail du Québec : Ce qui m’a frappé, c’est l’intervention de la fédération d’Argentine, qui disait que la croissance, oui, ça peut être dans chaque entreprise, mais qu’on peut aussi faire de la croissance par intercoopération, donc inciter les entreprises à travailler plus ensemble pour avoir des contrats plus importants. Il s’agit de favoriser l’« essaimage des coopératives ».

Au lieu d’être la grenouille qui veut être plus grosse que le bœuf, on crée un essaim de plusieurs entités autonomes qui vont être interdépendantes qui collaborent ensemble.

Si une coopérative a une taille plus grande et qu’elle veut continuer à croître, au lieu de croître de l’intérieur et d’intégrer de nouveaux membres, on peut favoriser des subdivisions de coopératives pour garder le lien démocratique entre les membres. Ça, je trouve ça intéressant.

En Italie, ils ont fait le constat qu’il y a un certain seuil critique pour maintenir le lien démocratique entre les membres, et c’est 50 membres. C’est ce que disent leurs études.

Au-delà de 50 membres, ils remarquent qu’on a tendance à perdre le lien démocratique. Ils favorisent l’essaimage, donc que quelques personnes de la coopérative puissent fonder une autre coop, avec d’autres membres de l’entreprise, et créer des partenariats d’affaires : Ils font de la sous-traitance entre coopératives au lieu de grossir dans une même entreprise.

NF : Par exemple, quels types de partenariat peuvent-ils être créés entre coopératives ?

IFM : On a créé une table pour les microbrasseries au Réseau de la coopération du travail. Sans les diriger, on les a simplement assises ensemble et on leur a demandé ce qu’elles avaient envie de faire ensemble.
Le premier projet qu’elles ont nommé, c’est celui de faire une bière collective, ensemble. Donc on a commencé par ce projet-là, et on s’est dit qu’il y avait un momentum parfait avec le Sommet international des coopératives.

On a fait en sorte que la bière soit prête pour le Sommet. Elle a été servie en dégustation au cocktail d’ouverture, et elle s’appelle la Rochdale, en référence aux pionniers de Rochdale.

Ça a été pensé comme ça par les brasseurs de La Barberie, la Microbrasserie de Bellechasse, À la fût (Sainte-Tite) et Le temps d’une pinte en Mauricie. Ce sont eux qui ont eu l’idée du nom.

La recette a été élaborée collectivement et a été brassée ensemble par les quatre brasseurs, qui se sont réunis dans une des coopérative pour brasser.

NF : C’est l’idée de la complémentarité au lieu de la compétition ?

IFM : Oui, effectivement. Ça, je trouve que c’est intéressant comme piste de développement.

Dans certains cas, c’est le contraire. Certaines grandes coopératives disent qu’en grandissant, elle se sont dotées de règles de fonctionnement plus claires qui permettent d’appliquer beaucoup mieux leur démocratie à l’interne. Je crois que plus on croît, plus ça prend des règles strictes.

NF : Est-ce que l’idée de la croissance infinie est dans l’ADN coopérative ?

IFM : Dans la coopération du travail, la motivation n’est pas la croissance. La motivation première, c’est de se fournir de l’emploi dans un contexte que l’on contrôle. Je pense que c’est ça qui motive les gens.

Je trouve ça dommage qu’on ait toujours  en tête le critère de la croissance, parce qu’on a de très beaux projets coopératifs de proximité. Ce n’est pas parce qu’on ne veut pas croître qu’on n’est pas des entreprises performantes, intéressantes et viables.

NF : Qu’est-ce que cela révèle comme différence entre les coopératives et les entreprises capitalistes ?

IFM : Quand tous ont un pouvoir égal dans une entreprise, croître revient à diluer le pouvoir décisionnel de chacun.

La croissance, dans une coop de travailleurs ne peut pas être abordée comme dans une entreprise traditionnelle. C’est pour ça que l’idée de l’essaimage devient intéressante.

L’autogestion a aussi été un thème qui a intéressé les gens. C’est une question qui est au cœur de la coopération du travail, et à laquelle personne n’a de réponse définitive. Certaines coopératives décident de gérer leur coop sans direction générale. Même en ayant une direction générale, certains adoptent un mode de gestion qui est le plus participatif possible, dans une structure organisée du travail. Faire l’équilibre entre l’efficience de l’entreprise et la démocratie, c’est une quête éternelle.

NF : Quels sont les enjeux qui touchent la relève ?

IFM : C’était intéressant de voir l’atelier sur la relève d’entreprise, avec l’exemple des Scop en France. Ça fait dix ans qu’ils travaillent là-dessus avec acharnement et ils commence maintenant à voir les résultats.

Le président de la fédération des Scop nous disait que sur les 2000 coops de travailleurs en France, 15% sont issues d’une relève d’entreprise. Ce n’est quand même pas la majorité, mais c’est quelque chose qui commence à être de plus en plus en croissance et dont il faut se soucier.

Nous, au Québec, ça fait quelques années qu’on commence à mettre de l’énergie et des efforts financiers sur cette question, et c’est normal que ça prenne encore quelques années avant que la formule soit connue et soit considérée comme une alternative crédible par les cédants d’entreprises.

NF : La relève à l’intérieur même de la coopérative a-t-elle aussi été discutée ?

IFM : Oui, et cela soulève toute la question de l’intégration des membres. Parce que, si les membres sont bien intégrés à l’origine, il n’y aura pas de problème de relève. Il y a un problème quand une seule personne porte l’entreprise, surtout si c’est le fondateur.

Aujourd’hui, c’est un fondateur qui est plus âgé qui a pris la parole. Dans son cas, il y a effectivement un fossé générationnel dans l’entreprise entre la nouvelle génération de travailleurs et le membre qui part à la retraite. Celui-ci a vraiment pris le temps de transférer et ça c’est bien.

Mais je pense que cela nous porte à réfléchir sur la façon dont on intègre nos membres pour qu’il n’y ait pas de conflit entre les fondateurs et les nouveaux. Et aussi comment les fondateurs sont capables de s’ouvrir aux nouveaux membres, pour éviter de créer des clans dans l’entreprise, ni être porté à garder le pouvoir entre nous parce qu’on se connaît et qu’on sait comment ça fonctionne et que les nouveaux on les voit comme des employés presque stagiaires.