Et si la transition énergétique était une occasion de développement économique et démocratique des collectivités? C’est une des idées fortes qui s’est dégagée des propos tenus par les chercheurs rassemblés à Québec lors du rendez-vous où étaient abordés les enjeux liés à la transformation du modèle énergétique actuel, à l’aube du Sommet international des coopératives 2014.

La transition énergétique ne pourra avoir lieu sans un véritable débat public. Dans cette perspective, les propos tenus lors de l’événement d’hier ont le mérite de montrer qu’au lieu de rimer avec austérité, la transition énergétique peut être un levier de développement économique.

L’invitation lancée au public par les chercheurs est donc non seulement de s’engager à des changements de comportements, mais de se saisir de la transition énergétique pour en faire une occasion de développement démocratique et de reprise du pouvoir par les collectivés.

Voir plus loin que les énergies vertes

«Comment sortir des énergies fossiles?» C’est la question qui a été lancée aux conférenciers invités par la Chaire de recherche en développement des collectivités à se prononcer sur la transition énergétique de l’économie.

Compte tenu du fait que les principales utilisations du pétrole au Québec sont attribuables au transport routier et à l’utilisation du mazout à des fins de chauffage, des pistes d’actions très concrètes ont été évoquées: «sortir le mazout pour le remplacer par la biomasse ou par le gaz naturel, dans les cas où ça ne soit pas possible» devrait ainsi être une priorité, selon Normand Mousseau. Professeur de physique à l’Université de Montréal, M. Mousseau a été coprésident des travaux de la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec en 2013.

Robert Laplante, directeur général de l’Institut de recherche en économie contemporaine (IREC), a défendu l’importance de miser sur le transport collectif et sur son électrification comme voie à privilégier pour réduire notre dépendance au pétrole.

Si la mise en œuvre de tels chantiers fait partie de la transition énergétique, François L’Italien, chercheur à l’IREC, a mis en garde contre une tendance «mainstream» qui présente la transition comme un enjeu technique. Loin de se réduire à troquer un procédé contre un autre, la transition énergétique doit s’accompagner d’une remise en question du modèle de développement énergétique.

«Énergies vertes» ne rime donc pas nécessairement avec «maîtres chez nous». À titre d’exemple, il nomme le Parc éolien du Lac-Alfred, dans la vallée de la Matapédia, dont la propriété est partagée entre la compagnie albertaine Enbridge et Électricité de France (EDF).

La voie coopérative

Pour le chercheur de l’IREC, la transition peut passer par le développement d’un autre modèle de production énergétique, qui se caractérise par la propriété collective, un lien avec le territoire et «la répartition de la rente énergétique dans les communautés» où se produit l’énergie. Service Forêt-Énergie, mis sur pied par la Fédération des coopératives forestières, est pour lui un exemple de ce modèle.

Répondant à l’intérêt pour le chauffage à la biomasse forestière, le Service soutient les coopératives forestières locales afin de leur permettre d’offrir des services allant de l’approvisionnement en biomasse à la vente d’énergie. La transition énergétique est ici associée à la création de circuits courts; les coopératives peuvent y jouer un rôle de premier plan.

Attention aux raccourcis

Normand Mousseau a quant à lui rappelé qu’il n’y a pas de solution toute faite à la sortie du pétrole. Il a particulièrement insisté sur le fait qu’en matière de transition énergétique, «il ne faut pas seulement s’appuyer sur ce qui vient d’ailleurs». On ne peut donc pas faire l’économie d’une analyse plus poussée de la situation énergétique. Pour M. Mousseau, une telle analyse révèle clairement qu’«au Québec, on n’a pas besoin d’augmenter la production d’énergie renouvelable», contrairement à un discours qui associe transition énergétique et développement de l’éolien.

«On brade déjà les surplus», a martelé le chercheur, montrant que sortir du pétrole implique aussi d’aller au-delà des idées reçues. Dans tous les cas, il s’agit d’«opter pour des solutions qui peuvent être des leviers de développement économique et qui représentent une augmentation de la qualité de vie». Le développement du transport collectif en région a notamment été évoqué, alors que la subvention à l’achat de voitures électriques, faites à l’étranger, a été remise en question.

«Changer d’échelle»

Un point sur lequel tous les invervenants à ce rendez-vous s’entendent, c’est qu’il est temps de passer à une autre échelle que celle des projets pilotes. Blaguant au sujet de l’approche actuelle, Robert Laplante dit qu’au Québec, «on est adeptes de l’homéopathie». Pourtant, pour le sociologue, «il existe des technologies matures et des solutions économiques qui sont ailleurs l’objet de choix politiques».

Faisant écho à son collègue, François L’Italien a rappelé que «la transition énergétique ne pourra pas se développer seulement sur la bonne volonté». Il a insisté sur le rôle crucial du financement public dans l’émergence d’alternatives au pétrole et sur la nécessité de se doter d’instruments financiers si on veut sortir des projets pilote. La Caisse de dépôt et de placement du Québec a ici un rôle à jouer, selon lui. Or, il a rappelé que celle-ci, au sortir de la crise économique de 2008, a massivement investi dans les sables bitumineux.