La porte est enfin ouverte. Et les attentes sont grandes. Même Aeromexico vient daugmenter sa flotte, suite à la levée du visa en décembre. Un nombre record de touristes mexicains étant attendu pour la prochaine année. Mais quen est-il du sort des demandeurs dasile? Janet Dench, directrice du Conseil canadien pour les réfugiés (CCR), fait le point.

 

La politique du visa obligatoire a été adoptée sous le gouvernement conservateur de Stephen Harper en 2009, en raison d’une hausse considérable de demandeurs d’asile mexicains. Selon la Commission de l’immigration et du statut de réfugiés du Canada (CISR), le nombre de dossiers a presque triplé entre 2005 et 2008, passant d’environ 3 400 à plus de 9 400.

Alors qu’en 2006, près du tiers des demandes étaient approuvées, en 2007 et 2008, le taux d’acceptation des réfugiés mexicains a fléchi à 11 %.

Quatre-vingt-neuf pour cent des demandes ont été rejetées. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi?

Le taux d’acceptation était minime, mais c’est un peu trompeur parce qu’à l’époque, les gens n’avaient pas le droit à une audience tout de suite, donc beaucoup de demandes ont été retirées. Entre 2007 et 2010, beaucoup de demandeurs ont fait marche arrière mais il y a plusieurs raisons à cela.

Ce que nous avons su, c’est qu’il y eu beaucoup de fausse représentation faite auprès des Mexicains ; on leur avait vendu l’espoir de venir au Canada pour pouvoir travailler et avoir accès au statut mais une fois au pays, ils ont réalisé qu’ils devaient faire une demande d’asile et ils n’avaient pas prévu cela.

Il ne faudrait pas faire une équivalence entre retrait d’une demande et demande non-légitime.

 

Pourquoi y avait-il autant de demandes?

On sait qu’il y a beaucoup de violations des droits de la personne au Mexique. Bien de gens ont de bonnes raisons de fuir la persécution ; il y a plusieurs régions où la violence est généralisée, mais malheureusement, la définition de réfugié est très limitée, très spécifique. Le même problème se pose avec les zones de guerre.

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On a tendance à penser qu’une personne qui fuit la guerre est un réfugié, mais ce n’est pas nécessairement le cas.

Pour être accepté, il faut être exposé à un risque personnalisé, à une crainte bien fondée, en raison de sa nationalité, sa religion, sa race, son opinion politique ou son appartenance à un groupe social. Cela dit, en 2015, même s’il y a eu beaucoup moins de demandeurs d’asile mexicains qui ont pu venir au Canada [ 120 demandes selon CISR ], 33 % ont été reconnus comme réfugiés.

 

En février 2013, Ottawa a ajouté le Mexique sur sa liste de pays dorigine désignés (POD), ce que le Canada considère comme des pays « sûrs », qui ne produisent habituellement pas de réfugiés, qui respectent les droits de la personne et offrent la protection de l’État. En conséquence, les Mexicains font face à de plus courts délais de traitement, sont privés du droit dappel et de presque tout soin de santé…

Oui, avec le nouveau système d’accueil des réfugiés, modifié en 2012, le demandeur d’asile d’un pays d’origine désigné n’a également pas droit à un permis de travail pour une période de six mois. Il devra aussi attendre trois ans avant d’avoir accès à l’examen des risques avant renvoi (ERAR), ce qui veut dire qu’en général, il sera déporté avant d’avoir la possibilité d’avancer de nouvelles preuves de risques.

Quelle est votre position à propos des POD ?

Le CCR recommande fortement au gouvernement d’abolir le régime de pays d’origine désigné. C’est un régime qui traite les demandeurs d’asile de façon différente selon leur provenance, ce qui constitue une violation du principe de non-discrimination.

La Cour fédérale a statué que le fait de priver les demandeurs d’asile des pays d’origine désignés, dont les Mexicains, à la section d’un droit d’appel des réfugiés, est une violation de la Charte des droits de la personne.

Quest-ce que la levée du visa mexicain va changer?

Je pense que l’on peut saluer la décision du gouvernement de lever le visa et se réjouir du fait que les personnes qui ont besoin de protection vont pouvoir venir au Canada et qu’elles vont pouvoir sauver leur vie en trouvant refuge ici. Il ne faut pas perdre de vue que pour plusieurs, on parle d’une situation de vie ou de mort.

Et le fait que le Mexique soit considéré comme un pays « sûr »?

Le droit aux gens de demander l’asile demeure. En fait, le taux d’approbation des dossiers démontre que la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada traite de façon sérieuse ses demandeurs. Le problème, c’est que le système actuel ne va probablement pas pouvoir respecter les échéanciers imposés. Voilà pourquoi nous demandons au gouvernement de le modifier.

Si un grand nombre de Mexicains demandent l’asile, il n’y aura pas moyen de faire les audiences dans les délais imposés par la loi.

Avec la victoire de Donald Trump au sud de la frontière, on apprenait récemment que le gouvernement fédéral se préparait à un flux de migrants. Comment entrevoyez-vous lavenir?

Le fait que la situation aux États-Unis devienne moins sécuritaire pour les personnes sans statut va évidemment avoir un impact sur les demandes d’asile au Canada.

Malheureusement, avec l’entente sur les tiers pays sûrs, la plupart des personnes domiciliées aux États-Unis ne pourront pas demander l’asile à la frontière, à moins d’entrer de façon clandestine au Canada.

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Crédit photo: gi campos, Flickr

Si des gens se sentent insécures aux États-Unis, il risque d’y avoir une forte augmentation de traversées, ce qui pourrait pousser le Canada à se retirer de l’entente.

John McCallum, ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, a soutenu que lobligation du visa pour les Mexicains pourrait être rétablie si le nombre de demandes d’asile atteint 3 500 au cours d’une année donnée. Comment réagissez-vous à cela?

Cette position est vraiment malheureuse de la part du gouvernement du Canada et va totalement à l’encontre de l’engagement en faveur des réfugiés. Le ministre devrait penser aux pays comme ceux entourant la Syrie et à qui on demande de garder leurs portes ouvertes pour permettre aux réfugiés de fuir la guerre.

Avancer que 3500 demandeurs d’asile c’est trop pour nous, c’est l’équivalent de dire aux Libanais de cesser leur accueil dès que ce nombre est atteint pour les Syriens.

C’est très dangereux: pas seulement pour les personnes à qui on ferme la porte mais aussi parce que ça nous empêche d’avoir une voix intègre sur le plan international et pour plaider en faveur de l’ouverture des frontières envers les réfugiés.