Le Canada interdit les loteries. Le Code criminel le prévoit, tout comme il prévoit aussi des exceptions. Les provinces peuvent créer, en toute légalité, des organismes qui opèrent des activités de loterie. Et les provinces peuvent réglementer les activités de loterie en respectant certains critères moraux : par exemple, l’activité doit avoir un caractère charitable ou religieux. Au Québec, nous avons Loto-Québec qui vend des billets de loterie et organise des concours, et qui retourne le produit des ventes à l’État. Aussi, des organismes peuvent obtenir des permis de loterie, permettant d’organiser des tirages et des concours afin de financer leurs activités, à condition que ces organismes soient à but non lucratif. Ces activités peuvent être une intéressante source de financement pour de nombreux projets.

Toutefois, depuis 2009, les coopératives ne se qualifient plus auprès de la Régie des alcools, des courses et des jeux comme organismes à but non lucratif.

C’est que la Régie considère depuis cette année-là que les coopératives sont incompatibles avec le statut d’organisme à but non lucratif. Pour le tribunal, seuls les organismes constitués en vertu de la partie 3 de la Loi sur les compagnies se qualifient à titre d’OBNL.

Les coopératives, quant à elles, et selon la Régie, existent dans le but de servir leurs membres et non l’ensemble de la communauté. Même si la coopérative renonce à la ristourne pour ses membres, même si elle renonce à un intérêt sur les parts privilégiées, la Régie disqualifie les coopératives à titre d’OBNL.

Et pourtant, ceux et celles qui œuvrent au sein des coopératives savent combien les projets qu’elles desservent dépassent toujours largement les limites de la coopérative elle-même.

Pourquoi les coopératives devraient-elles se qualifier à titre d’organisme à but non lucratif?

Pourquoi la Régie erre-t-elle en prétendant que les coopératives ne font que servir l’intérêt de leurs membres? Voici quelques raisons qui motiveraient un changement de cap jurisprudentiel devant le tribunal.

Premièrement, il y a le principe de la porte ouverte et de la libre adhésion à la coopérative. Inscrit dans la Loi sur les coopératives parmi les règles d’actions (art. 4, al.1 de la Loi), ce principe précise l’ouverture d’une coopérative sur le monde. Il n’y a pas de limite ou de contrainte relativement à l’adhésion de membres, sinon que la coopérative doit avoir les moyens d’offrir ses services à chaque nouvel adhérent.

Deuxièmement, parmi les règles d’action coopérative inscrites dans les principes coopératifs, il y a cette obligation de «soutenir le développement du milieu.» Il s’agit là d’une obligation morale et même légale qui décrit à merveille la motivation des porteurs de projets coopératifs : au-delà des membres, nous voulons venir en aide à l’ensemble de la communauté. Nous voulons venir en aide aussi aux autres coopératives. Encore ici, les frontières de la coopérative sont franchies.

Et troisièmement, la dévolution intercoopérative prévue en cas de liquidation d’une coop. Les membres ne peuvent se partager les biens de la coopérative; ceux-ci doivent être distribués à d’autres coopératives. Ce dernier exemple démontre bien combien le tribunal erre en prétendant que la coopérative ne sert que l’intérêt de ses membres.

Néanmoins, le refus d’attribuer le statut d’OBNL aux coopératives constitue actuellement le courant jurisprudentiel majoritaire à la Régie, privant de nombreuses coopératives de procéder à des activités de financement qui pourraient leur être d’une grande utilité pour lancer leurs opérations, ou encore les maintenir à flot. La contrainte juridique force même certaines coopératives à renoncer au statut de coopérative, de manière à préserver l’option des tirages pour financer leur mission.

L’adoption de la Loi cadre en économie sociale aurait pu mettre fin à cette discrimination contre les coopératives. Mais, pour l’instant, la situation est au beau fixe. C’est dire combien la tâche d’éducation au modèle coopératif demeure imposante, y compris parmi les instances judiciaires.

Me Raphaël Déry
Avocat & Conseiller juridique de coopératives