Nettement marqué à droite, le budget déposé la semaine dernière par le gouvernement conservateur majoritaire est souvent qualifié d’idéologique. Sans pour autant tout expliquer, l’indéniable montée de la droite religieuse au sein de ce gouvernement peut en éclairer bien des décisions. C’est ce que l’on peut déduire à la lumière du dernier ouvrage de Marci McDonald intitulé Le facteur Armageddon. Bien que ces images de pasteurs exaltés, véritables superstars larmoyantes, en provenance des Etats-Unis puissent nous sembler exotiques, le mouvement évangélique canadien est bien en marche.

L’essor spectaculaire des nouvelles églises évangéliques est observable sur l’ensemble de la planète. Avec presque autant de chrétiens que de musulmans, l’Afrique noire en est le théâtre principal. La compétition entre religions y opère sur le terrain social et jusque dans les cercles politiques. Aux États-Unis, les évangéliques regroupent plus de 80 millions de citoyens confirmant leur poids dans la balance électorale.

Plongeant ses racines au sud de nos frontières, la frange évangélique canadienne, nationaliste, organisée et influente, n’aspire à rien de moins que de faire du pays un État distinctement chrétien. N’est-ce d’ailleurs pas sous-entendu par le Psaume 72:8, inscrit à même la pierre de la Tour du Parlement: «Il dominera d’une mer à l’autre, Et du fleuve aux extrémités de la terre.» Une impression confortée par les intéressés, lorsque le 24 mai 2006, l’horloge de la Tour s’est «miraculeusement» arrêtée à 7h28…

Un lobby bien installé

Le facteur ArmageddonLa journaliste Torontoise Marci McDonald a rigoureusement documenté la genèse du mouvement au Canada. Au moment de la fusion entre l’Alliance Canadienne et le Parti Conservateur, Stockwell Day avait déjà pavé la voie au «conservatisme social». En fin de règne Libéral, les idées des évangélistes en matière de sexualité furent heurtées, alors que Paul Martin institutionnalisait le mariage gai. Le mouvement évangélique fut donc galvanisé par l’arrivée au pouvoir de Stephen Harper, lui-même évangéliste.

Timide au départ, Harper devint toutefois l’architecte d’une stratégie théo-conservatrice lui ayant assuré l’allégeance d’une base évangélique et religieuse, notamment au sein de son électorat issu de l’immigration, activement courtisé via la promotion de valeurs conservatrices communes. Depuis, les lobbyistes évangéliques déferlent sur Ottawa où de nombreux députés, eux-mêmes évangélistes, se montrent réceptifs.

C’est ainsi que Faytene Kriskow, la directrice du groupe de pression 4MyCanada, s’affirmant investie d’une mission divine, a pu bénéficier de nombreuses rencontres avec des parlementaires, précise Marci McDonald. Qui plus est, se prétendant bénévole, Kriskow échappe au registre des lobbyistes et bénéficie d’une carte de libre accès au Parlement fournie par le député évangélique Rod Bruinooge.

En 2005, un couvent abandonné d’Ottawa est recyclé en un carrefour d’évangélistes et renommé  Maison nationale de la prière, d’où sont menées de véritables offensives de prières visant à influencer les élus, tout comme dans les tribunes du Parlement.

En prévision de la bataille de Jérusalem

Pour ce mouvement nationaliste chrétien, soutient Marci McDonald, l’Apocalypse est imminente, et le Canada y jouera un rôle unique, prescrit par les Écritures. Son indifférence quant aux grands défis que doit relever l’humanité, tel le réchauffement climatique, s’explique par cette sombre vision biblique préconisant le sauvetage des âmes pour la «moisson finale». Cela se traduit par un activisme contre le mariage homosexuel et le droit à l’avortement, des pressions pour la moralisation de la culture, une lutte contre l’humanisme laïque ainsi qu’un soutien indéfectible à l’État d’Israël.

Selon la prophétie, l’État juif jouera un rôle déterminant avant le second avènement. L’arrivée au pouvoir des Conservateurs coïncide avec un virage pro-Israélien et l’érosion du rôle de médiateur pacifiste qui caractérisait autrefois le Canada. Les déclarations d’amour et les appuis inconditionnels à l’endroit de l’État hébreu sont devenus la norme: ni la riposte excessive à l’endroit du Liban en 2006, ni l’attaque d’une flotte humanitaire en 2010, ni l’expansionnisme belliqueux d’Israël ne lui valent la moindre critique. Ce qui, malgré les flacons de sirop d’érable offerts aux 191 ambassadeurs présents au moment du vote, coûta vraisemblablement au Canada un siège au Conseil de sécurité de l’ONU. En novembre dernier, le Canada annonçait qu’il suspendait sa contribution volontaire à l’Unesco suite à l’adhésion de la Palestine à l’organisation.

L’État dans la chambre à coucher

Depuis leur arrivée au pouvoir, les Conservateurs ont multiplié les tentatives devant remettre au goût du jour la question de l’avortement. Ainsi, le projet de Loi Roxanne, rendant illégales les pressions exercées sur les femmes enceintes, aurait ouvert la voie à la reconnaissance d’un statut légal pour le fœtus. Ce projet fut toutefois bloqué par l’opposition majoritaire. Cette question est revenue dans l’actualité cet hiver à la faveur de la nouvelle majorité conservatrice.

Le refus Canadien de reconduire un programme destiné au contrôle des naissances et à la santé des femmes dans les pays en développement prétextant que celui-ci subventionnait des avortements s’inscrit dans la même logique ainsi que la suppression de l’organisme Procréation assistée Canada (PAC) dans le budget de la semaine dernière. Un acharnement qui semble irrationnel à la lumière du dernier ouvrage de Jean Ziegler, Vice-président du comité consultatif du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies. Il rappelle qu’un enfant meurt de faim toutes les cinq secondes, un désastre dont la spéculation sur les biens agricoles et la production d’agrocarburants sont en grande partie responsables.

L’influence évangélique est également perceptible dans la cessation du financement par Ottawa du défilé de la fierté gaie à Toronto bien que les organisateurs aient franchi toutes les étapes nécessaires pour se qualifier. Harper n’a jamais caché son intention de «moraliser» le choix d’événements et de productions artistiques subventionnées.

Morale obscurantiste

Il n’est pas anodin, selon Mme McDonald, que le ministre d’État aux sciences et technologies, Gary Goodyear, un baptiste qui défend une interprétation littérale de la Bible, s’affirme ouvertement créationniste. Ce courant affirmant que l’origine de la vie ne remonte qu’à 6000 ans, associe la théorie de l’évolution des espèces à un complot concocté par des universitaires laïques pour miner les fondements de la doctrine chrétienne.

L’ancien ministre Stockwell Day alla jusqu’à prôner l’enseignement de ce concept religieux à l’école. À Abbotsford, bastion pentecôtiste de l’Ouest Canadien, comme le relève Marci McDonald, les écoles ne témoignent d’ailleurs pas d’un excès de zèle pour enseigner la théorie de Darwin, pourtant solidement étayée par la science moderne. L’Alberta compte même son premier musée de la création où l’on affirme que l’absence de dinosaures aujourd’hui est due au fait qu’ils n’aient pu prendre place sur l’Arche de Noé…

Les temps ont changé depuis la première sortie créationniste de Day où celui-ci fut ridiculisé. Désormais décomplexés et organisés, notamment via Internet, les pentecôtistes crient à la fois au blasphème et au non-respect de leurs croyances.

Au Québec

L’ouvrage de Marci McDonald contient dans sa traduction française un chapitre inédit sur la situation au Québec. Bien que le mouvement québécois demeure embryonnaire, la province reçoit son lot de pasteurs évangélistes «guidés» par Dieu. Ainsi les 3500 membres de l’église Nouvelle Vie de Longueuil s’abreuvent des performances théâtrales d’un pasteur québécois dont le formateur n’est nul autre que le fondateur texan de la Zion Bible Institute. Ce dernier affirmait avoir reçu de Dieu l’ordre de sauver le Québec impie.

La vulnérabilité des régions éloignées a également été soulignée par le magazine Québec Science alors qu’en 2006, l’administration d’une école secondaire du Nunavik tentait d’interdire à ses enseignants d’aborder le thème de l’évolution. Présents depuis 8 ans, les Born Again avaient alors éclipsé l’église anglicane, qui elle-même avait absorbé le chamanisme inuit. En 2009, des enseignants du Cégep de Sherbrooke ont dû forcer la direction de l’établissement à annuler la tenue d’une conférence créationniste.

Accommodements

L’impuissance de l’opposition sur la scène fédérale quant à ces intrusions religieuses amène à s’interroger sur l’attitude de notre gouvernement provincial. Or, il y a aussi lieu de s’inquiéter. Le parti Libéral (tout comme Québec Solidaire) assume son parti pris pour la laïcité dite «ouverte», avalisant des «accommodements» tel l’imposition, sur demande de parents musulmans, d’un «casque anti-bruit» à une fillette de la maternelle.

Face à ceux qui réclament une charte de la laïcité garantissant un espace public neutre et une loi commune respectant le principe d’égalité entre les sexes ainsi que le fait français, la culture et l’identité québécoise, le refrain Libéral demeure redondant: «la Charte québécoise des droits de la personne garantit la liberté de religion.» Une perméabilité aux religions, notamment à celles des minorités ethniques, que Louise Mailloux, Professeure de philosophie au Cégep du Vieux Montréal et auteure d’une lettre à ce sujet dans Le Devoir, associe à de l’électoralisme assumé.