TERRITOIRE MOHAWK DE KANEHSATÀ:KE – Le 11 juillet dernier, au 23e anniversaire de la crise d’Oka de 1990, une centaine de personnes se sont rassemblées au Parc Oka, sur le territoire traditionnel du peuple Kanien’kehà:ka (Mohawk) de Kanehsatà:ke pour marquer ce que les organisateurs appellent le début d’une bataille contre le développement non autorisé sur les terres mohawks.

«Nous avons négligé cette partie de notre territoire en pensant que ce que l’homme blanc appelle une réserve est là où nous sommes en droit de vivre. Aujourd’hui, nous voyons l’exploitation et l’appropriation de notre territoire par des compagnies comme Enbridge qui a déjà ses pipelines dans le parc, par Gazoduc qui fait du fracking sans que nous le sachions», déclare Ellen Gabriel, membre de la nation Kanien’kehá:ka – Clan de la Tortue, connue pour franc-parler sur la question de la souveraineté autochtone.

«Il est donc important pour nous qu’aujourd’hui soit la première d’une série de manifestations de la part du peuple. Pas seulement les Mohawks, mais tous les peuples. Nous n’avons qu’une planète, nous devons protéger la Terre mère. C’est de ça qu’il s’agit», a-t-elle rajouté.

En plus de vouloir souligner l’anniversaire de ce qu’on appelle communément la crise d’Oka, le rassemblement visait aussi à envoyer un message à la pétrolière Enbridge au sujet de son incursion non autorisée à l’intérieur du territoire de Kanehsatà:ke pour inspecter le pipeline traversant la ville de Mirabel au Québec. L’inspection nécessite des forages et fait partie des préparatifs d’Enbridge d’inversion du flux du pipeline connu sous le nom de Ligne 9. Le changement de direction permettrait à la compagnie de pomper du pétrole de l’ouest vers l’est, transportant ainsi le pétrole de l’Alberta vers les ports de la côte est. L’Office national de l’énergie (ONE) étudie à l’heure actuelle le projet d’inversion malgré les critiques et l’opposition grandissante.

Même si la compagnie a indiqué dans sa demande à ONE qu’elle n’entend transporter que du pétrole brut conventionnel, plusieurs commentateurs– dont des observateurs de l’industrie pétrolière– croient qu’étant donné que le développement des routes à l’Ouest comme le pipeline de Northern Gateway (qui va des sables bitumineux jusqu’aux côtes de la Colombie-Britannique) a été retardé en attendant la révision par l’ONE, le but véritable d’Enbridge est de faire passer du pétrole des sables bitumineux à travers la Ligne 9.

Ceux qui s’opposent à l’inversion de la Ligne 9 craignent que le pipeline n’entraîne un développement encore plus rapide des sables bitumineux. Ils sont aussi préoccupés par le transit du pétrole à travers leurs communautés et les risques– selon eux augmentés– de déversement. Il y a trois ans, une fuite dans un pipeline d’Enbridge a entraîné un déversement de 832000 gallons de pétrole des sables bitumineux dans la rivière Kalamazoo au Michigan, causant ainsi de sérieux dommages à l’écosystème de la région. Les opérations de nettoyage ont encore lieu à ce jour.

En juin, une occupation de six jours a eu lieu à Hamilton dans une installation d’Enbridge au long de la Ligne 9 pour manifester contre l’inversion du flux pétrolier. Des municipalités de l’est du Québec et du nord-ouest des États-Unis prennent position et adoptent des résolutions pour bloquer les projets de la compagnie pétrolière.

Le fait que les projets d’exploration d’Enbridge arrivent lors de l’anniversaire de la crise d’Oka n’a pas échappé aux participants de la manifestation.

«Il y a vingt-trois ans, il s’agissait de développement sur notre territoire. Vingt-trois ans plus tard, il s’agit toujours de la même chose, sauf que nous savons maintenant que Gazoduc est ici [en train de faire de l’exploration gazière], GDB Construction essaye de construire plus de condos sur ces belles terres derrière nous et Enbridge a son pipeline qu’elle veut utiliser pour ramener du pétrole sale», dit Ellen Gabriel. «Vous savez, nous sommes ici en tant que défenseurs de première ligne pour la génération actuelle et les générations futures. Et nous avons besoin de faire comprendre aux gens que le gouvernement leur a menti. Ils n’ont pas réglé le problème comme ils avaient promis de le faire durant les négociations de 1990.»

La confrontation de 78 jours qu’on appelle communément la crise d’Oka a été déclenchée par la décision de la municipalité d’Oka d’agrandir un terrain de golf et de construire des condos de luxe sur des terres faisant partie du territoire traditionnel de Kanehsatà:ke et qui inclut un cimetière. Des guerriers mohawks ont érigé un blocus et le gouvernement a finalement fait appel à l’armée canadienne pour tenter de mettre fin au conflit. La confrontation a pris fin en septembre 1990 et le gouvernement fédéral a racheté les terres en jeu. Le gouvernement n’a toutefois pas transféré la propriété des terres à la communauté de Kanehsatà:ke.

Plusieurs autres groupes étaient présents pour témoigner leur soutien et s’opposer aux plans d’Enbridge, notamment Idle No More Québec, la section montréalaise du Conseil des Canadiens, le Regroupement de solidarité avec les autochtones (qui a été fondé durant la crise d’Oka) et Justice Climatique Montréal.

«Aujourd’hui est une journée remarquable. C’est le 23e anniversaire de ce qu’on appelle la crise d’Oka. C’est le premier jour planifié par Enbridge pour creuser et inspecter son pipeline», a dit Mike Finck de Justice Climatique Montréal. «Pour les gens ici, ça représente le combat derrière eux ainsi que le combat à venir. Pour les corporations, c’est un jour comme un autre. Quand il s’agit d’intérêts corporatifs, Enbridge s’est fait ambassadeur de l’une des pires [industries], les sables bitumineux de l’Alberta. Nous nous tenons solidaires des communautés autochtones qui sont les plus touchées par les changements climatiques et l’extraction de cette énergie sale. Les peuples autochtones résistent, contre les projets destructifs d’extraction des ressources depuis plus longtemps que quiconque, et quand leurs droits sont respectés, nous en bénéficions tous.»

Après les discours, les gens rassemblés ont décidé de prendre la rue. Dirigés par un trio de joueuses de tambours mohawks, ils ont marché jusqu’à la route 344 devant le parc pour commencer une danse en rond. La circulation sur la voie achalandée a été considérablement réduite. Ainsi que l’a dit une des organisatrices de Idle No More Québec, l’action a envoyé un message percutant : «Vous ne pouvez plus passer devant nous sans reconnaître, et respecter, notre présence.»

[Ce texte a été initialement publié sur le site de la Coop Média de Montréal. Il a été traduit de l’anglais par Arij Riahi avec le consentement de l’auteur.]