Le 17 juillet dernier, la Banque du Canada a annoncé qu’elle maintiendra son taux directeur à 1% à cause des prévisions de croissance revues à la baisse pour l’année en cours. Cette politique monétaire «accommodante» pourrait pourtant avoir d’importantes répercussions sur la reprise fragile de l’économie canadienne. C’est ce que concluent plusieurs économistes interrogés, pourtant issus d’organisations rarement unanimes entre elles: l’Institut économique de Montréal (IEDM), le Mouvement Desjardins et L’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS).

«Il y a probablement une bulle immobilière au Canada, affirme Germain Belzile, professeur à l’école des Hautes études commerciales (HEC) et chercheur associé à l’Institut économique de Montréal. Et c’est directement lié à la politique monétaire très libérale qu’on connaît depuis 2001.» Les taux d’intérêt très bas favorisent la demande en immobilier et le prix des maisons au Canada a augmenté de plus de 50% au cours des dix dernières années (données OCDE). Le prix des maisons est donc, selon les économistes, surévalué.

Les journalistes Dominique Cambron-Goulet et Alexandre Sheldon ont préparé ce reportage sur la possibilité d’une crise financière au Canada. Ils ont interrogé des économistes de familles politiques différentes afin d’avoir plusieurs points de vue sur la question. Leurs conclusions se rejoignent toutefois sur de nombreux points.
Vidéo: Dominique Cambron-Goulet et Alexandre Sheldon

«C’est un des risques qui pèse sur l’économie canadienne», croit Benoît Durocher, économiste senior au Mouvement Desjardins. Si la situation ne se stabilise pas, le Canada pourrait vivre une crise immobilière avec des conséquences néfastes. «On ne peut s’empêcher de faire des rapprochements avec ce qui s’est passé aux États-Unis», estime-t-il.

C’est en partie pour éviter une répétition du scénario américain que la Banque du Canada maintient son taux directeur très bas. «Lorsque les taux d’intérêt vont monter, plusieurs ménages pourraient avoir de la difficulté à rencontrer leurs obligations financières», soutient M. Durocher. Mais on ne peut pas garder les taux artificiellement bas éternellement. «Si on maintient ça très longtemps, on augmente les risques de crise financière», juge M. Belzile.

Trop endettés

«On est déjà à des niveaux d’endettement des ménages records de près de 170%»,  rappelle Guillaume Hébert, économiste associé à l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS). C’est ce qui suscite l’inquiétude des économistes. Les ménages déjà surendettés à des taux faibles ne pourraient pallier à une augmentation même très faible des taux d’intérêt. «L’endettement des ménages est le seul moteur économique qui fonctionne encore puisque l’État n’investit que très peu et que les entreprises sont assises sur des piles de liquidités, ajoute M. Hébert. Si les ménages cessent d’acheter, nous allons tout droit vers une récession.»

La situation est donc dans un équilibre très fragile. «La tendance à la hausse de l’endettement des ménages est le reflet de l’augmentation des prix dans l’immobilier», juge M. Durocher. Pour l’instant, les ménages ne cessent pas de consommer, car l’augmentation rapide du prix des maisons leur laisse croire à une plus grande richesse individuelle croit Germain Belzile. «Lorsqu’on a une maison à 500000$ qu’on l’a achetée 350000$, on se croit au-dessus de ses affaires pour la retraite et on épargne moins.» Mais si les prix baissent, ce sentiment de richesse chez plusieurs citoyens disparaîtra et ils devront faire face à leurs dettes.

L’État à la rescousse

En 2007-2008 aux États-Unis, plusieurs banques ont déclaré faillite suite à l’éclatement de la bulle immobilière et c’est ce qui a donné le plus dur coup à l’économie. Le gouvernement fédéral est donc venu à la rescousse des banques avec des plans de sauvetage très coûteux.

Au Canada, la Société canadienne d’hypothèque et de logement (SCHL) garantit une certaine stabilité bancaire. «La SCHL a une réserve de 10 milliards pour rembourser les banques qui font face à des défaut de paiement, explique Guillaume Hébert. Mais on se demande si c’est assez, car elle couvre pour 800 milliards en hypothèques.»

«Au niveau des ratios d’endettement, le Canada fait bonne figure parmi les pays industrialisés», analyse Benoit Durocher.  Toutefois, advenant une chute du prix des maisons, l’État devrait intervenir pour sauver l’économie canadienne et ainsi s’endetter de façon importante. C’est ce genre sauvetage qui a donné le coup de grâce à des pays européens déjà très endettés comme la Grèce ou Chypre.

«Certains acteurs ont parlé d’une récession en “W”, c’est-à-dire une récession suivie d’une reprise et d’une autre récession. Dans certains pays d’Europe c’est déjà le cas et cela pourrait bien arriver au Canada aussi», conclut M. Hébert. Sans être alarmistes, les économistes de tous horizons s’inquiètent de l’état du marché immobilier au Canada.

Avec Alexandre Sheldon