Nous avons patiemment suivi plusieurs sessions de la Commission sur les enjeux énergétiques, de Rimouski à Québec: enregistré, interrogé, noté des contacts pour des entrevues complémentaires, filmé et photographié. Nous nous sommes étonnés du peu de participation de la population, hors les personnes venues déposer un mémoire. Sans doute était-elle trop occupée à s’entredéchirer le tissu laïc dans ce psychodrame de la Charte, déclenché par ce gouvernement et entretenu par les médias de masse. Mais tout cela est vain maintenant: en dévoilant sa politique économique, la semaine dernière, ce gouvernement a annoncé ses couleurs sans attendre le rapport de la Commission. Quoi qu’en dise la population, il y aura donc exploration pétrolière sur Anticosti, dans le golfe du Saint-Laurent et en Gaspésie.

À la fin de l’été, lorsque nous avons rencontré Martine Ouellet, ministre des Ressources naturelles, elle répondait à nos questions en évoquant la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec, et en invitant la population à y participer. Nous pourrions parler de tous ces groupes citoyens qui ont consacré leur journée à cette consultation, qui se sont déplacés et qui ont plaidé pour que le Québec se détourne des hydrocarbures. Nous aurions bien décrit ce représentant de l’industrie pétrolière, venu expliquer que le Québec est dépendant du pétrole et qu’il faut soumettre les projets d’énergies renouvelables à un exigeant examen de rentabilité. Nous pourrions dresser l’inventaire des mémoires déposés, mais ce serait inutile. Tous ces gens ont apparemment perdu leur temps.

Ce gouvernement a-t-il seulement eu l’intention de consulter sa population? Il prend ses décisions sans attendre la conclusion du débat public qu’il a lui-même initié. Détourner à ses fins le débat démocratique pour imposer ses propres visées semble être devenu sa technique gagnante. Dans le cas de la Charte des valeurs, au lieu de proposer un projet rassembleur, il brandit un drapeau contre lequel se dressent les uns et pour lequel s’époumonent les autres. Il les épuise dans un débat dont la division lui promet l’élection, et dont la diversion médiatique lui permet de prendre dans l’ombre des décisions qui auront des impacts autrement durables sur l’économie et l’environnement de ce Québec qu’il veut souverain.

Souveraineté

La souveraineté ne s’acquiert pas en ouvrant le territoire à des compagnies privées pour qu’elles y fassent passer des matières dangereuses, ou pour qu’elles le détruisent en exploitant ses ressources non-renouvelables. La souveraineté n’est pas au bout du chemin par lequel les multinationales font sortir les bénéfices du Québec, et y importent les dégâts sociaux, économiques et environnementaux.

La souveraineté ne rassemble pas un peuple qu’on a divisé pour gagner une élection. La réélection comme gouvernement majoritaire semble à la portée du Parti québécois (PQ). Surfant sur cette vague, il pourrait tenter le référendum pour enfin se donner un pays. Mais ce pays appartiendra déjà aux compagnies.

Cette souveraineté de saccageurs, elle se fera au détriment des communautés, des Premières Nations, des régions, des nouvelles générations et des territoires. Dans le Québec souverain de ce gouvernement, il n’y aura plus de forêts, il n’y aura plus de poissons ni de baleines, il n’y aura plus de rivières ni d’eau potable.

Il n’y aura plus de citoyens ni de citoyennes. Ce Québec souverain n’a apparemment pas besoin de démocratie.

Dévastation

Ce Québec souverain, un désert toxique? Il sera peut-être traversé par un monorail électrique, peuplé d’automobiles électriques, d’éoliennes et de maisons énergétiquement plus efficaces, tel qu’annoncé dans la politique économique. Mais ce Québec sera un Québec dévasté par l’exploitation des hydrocarbures. Que restera-t-il pour l’économie réelle, celle qui fait vivre les gens? Agriculture et élevage sans eau potable, pêche sur marée noire et levés sismiques, tourisme sur champs de fracturation, chasse en habitats déstructurés… la liste pourrait s’allonger.

Quelle que soit sa soif d’indépendance, la nouvelle génération est minoritaire dans l’assiette électorale. Ce n’est pas à elle que s’adresse le PQ. C’est tout de même elle qui devra vivre dans ce pays souverain et dépendant des énergies fossiles, enraciné dans une économie désuète, perclus de dizaines de milliers de puits de pétrole et de gaz qui fuient, traversé par des pipelines qui se déversent de temps en temps dans ses nappes phréatiques.

Que faire?

Ce Québec n’est pas celui dont vous rêvez? Hélas les commissions et les consultations ne sont pas considérées par ce gouvernement comme une façon respectable de se faire entendre. Le scrutin, dans notre système électoral imperméable aux tiers-partis, offre pour sa part le retour des Libéraux. Et nos institutions démocratiques donneront au prochain gouvernement le même pouvoir absolu.

Il reste la rue.