C’est au Forum régional coopératif de la Montérégie qu’a été lancée, le 12 septembre dernier, la Déclaration des coopératives montérégiennes. Élaborée et adoptée par les quelque 120 participants et participantes, cette déclaration vise à «mobiliser les gens autour du fait que les coopératives doivent se faire connaître et se faire reconnaître dans la communauté et participer à un projet de société», explique la directrice générale de la Coopérative de développement régional (CDR) de la Montérégie, Claire L’Heureux. Elle espère que les gens puissent ainsi «s’identifier à un futur pour les coopératives et s’inclure en tant que coopérative dans un projet de société beaucoup plus global que leur coopérative elle-même». Illustrations concrètes de ce que signifient ces valeurs pour la région, plusieurs entrepreneurs sont venus parler de leur coopérative et raconter leur parcours qui parfois relève de l’exploit.

«Ce qu’on ne savait pas à ce moment là, c’est que c’était impossible. Ça fait qu’on l’a fait pareil», s’exclame Réjean Sauvé, directeur général de la Coopérative de Solidarité du Suroît – CSUR. Comme plusieurs autres promoteurs, il lui a fallu louvoyer entre les obstacles administratifs, techniques et financiers pour mettre sur pied une entreprise qui répond au besoin du milieu, en l’occurrence l’accès à Internet haute vitesse, alors que les grandes compagnies privées n’y voyaient pas un marché intéressant.

Pierre Boisvert, conseiller municipal à Saint-Georges-de-Clarenceville, dans le Haut-Richelieu, croit que la coopérative est un moyen de cimenter la communauté. «J’ai fondé une coopérative pour que tous les citoyens puissent se parler et se connaître. C’est une municipalité qui est beaucoup ethnique. On a au moins 12 communautés différentes, beaucoup parlent anglais au lieu du français.»

C’est avec émotion que Guy Laporte, directeur général de Coopérative de travail de la radio de Granby, relate la fermeture de la station de radio CHEF-AM 1450, «propriété des journaux Transcanada, contrôlé indirectement par Power Corporation», le 19 janvier 1996. Parmi les quinze personnes ayant perdu leur emploi, six décident de fonder une coopérative de travail en souscrivant chacune 6000$ en parts sociales. CFXM-FM 104,9 a obtenu sa licence un an plus tard, et la nouvelle radio M105 a assuré un service essentiel pendant la crise du verglas de 1998. Plusieurs grands groupes ont cherché à acquérir cette rare radio commerciale sous propriété coopérative. Les membres ont toujours résisté, pour conserver leur emploi, leur participation aux résultats et l’appartenance de la radio à la région.

Lucas de Villers, directeur des communications à la caisse Desjardins des Moissons, souligne que c’est la coopération qui permet à sa caisse de soutenir de tels projets. Au lieu de rémunérer des actionnaires comme le font les banques, elle affecte une grande partie de ses trop-perçus au développement de son milieu. «Notre caisse remet, bon an mal an, entre 100000$ et 150000$ à la communauté pour supporter différents projets locaux, que ce soient la réfection d’un centre communautaire, l’aide à un organisme du milieu. C’est une belle fierté pour les membres et on essaie de les sensibiliser pour leur faire savoir que grâce à la confiance qu’ils nous donnent, on est capable de retourner à la communauté.»

Face à l’érosion démocratique

C’est un discours inquiet qu’a livré Claude Béland, conférencier d’ouverture et président du Mouvement Desjardins de 1987 à 2000. S’appuyant sur la résolution unanime de l’assemblée générale des Nations Unies, en 2009, déclarant l’Année internationale des coopératives, M. Béland a relevé le contraste entre celle-ci et le système actuel dressé un portrait inquiétant de l’évolution de la démocratie. «Liberté, égalité, fraternité, qui était le cri de ralliement au 18e siècle pour mettre fin à la domination des rois et des empereurs… les sociétés, au contraire, sont de moins en moins libres, de moins en moins égalitaires, de moins en moins fraternelles, de plus en plus violentes.»

Pour M. Béland, les coopératives, une à la fois, apportent une solution à l’érosion de la démocratie et de la justice sociale. «Si on veut remettre le monde sur les rails des principes de la grande charte des droits de l’homme, il faut créer des coopératives», explique-t-il tout en réaffirmant l’importance de rester fidèle aux principes coopératifs. «Si les coops se doivent d’être rentables, financièrement solides, c’est surtout pour se donner la capacité de changer le monde

Le secret le mieux gardé

Mario Aylwin, participant au forum, s’est présenté au micro pour dénoncer l’invisibilité du mouvement coopératif dans la société. «On est devenu le plus gros pourvoyeur de services funéraires au Québec, plus gros maintenant que SCI, qui est une multinationale américaine et qui utilise des noms québécois pour se faire connaître chez nous. Malheureusement, lorsque je dis que je suis directeur général de la Coopérative funéraire de la Rive-Sud de Montréal, la quatrième plus grosse au Québec, on me demande : « C’est quoi ça une coopérative? C’est quoi une coopérative funéraire, qu’est-ce que vous faites? ». J’inviterais tous les gens à mettre un peu d’argent ensemble pour faire connaître les coopératives

C’est aussi la préoccupation de Suzanne Lefebvre, directrice générale de la Coopérative de solidarité en service d’aide à domicile Mobil’aide. «La population vieillit. On est enraciné dans nos milieux, on fait vivre beaucoup d’économie dans le coin, et puis on ne parle jamais de nous. À Saint-Jean-sur-Richelieu, il y a 40 jobs et on est en plein développement. On a des gens qui sont impliqués sur le CA et qui ont 86 ans

«Il faut que le mouvement coopératif soit un intervenant reconnu et recherché dans les débats sociaux, soulignait M. Béland. L’inventaire des publications des différentes organisations coopératives au Québec est impressionnant. Tout le monde a sa revue, son magazine, son petit bulletin. Chacun a sa publication et chaque organisation parle à ses membres, souvent avec les moyens du bord. On se parle entre membres d’une même organisation. On a déjà eu, chez Desjardins, une grosse pile des revues qui s’appelaient Ensemble! en 1944. Ensuite, un nommé Légaré a lancé un journal, qui s’appelait le journal Ensemble! Et là aujourd’hui, on vient de vous distribuer, grâce au dynamisme d’une équipe de jeunes journalistes, un journal qui essaie de prendre sa place, qui s’appelle Ensemble. Quand est-ce qu’on va avoir notre revue ou notre journal qu’on va trouver dans tous les kiosques. Quand est-ce qu’on va être là? On est importants, pourtant! On va cesser de se parler entre nous et il faut parler à la société en général qui cherche des solutions».

Texte intégral de la Déclaration des coopératives montérégiennes

En tant qu’entreprises pérennes, responsables et ancrées localement, nous déclarons que les coopératives et mutuelles doivent s’identifier davantage et d’une façon systémique aux valeurs et principes coopératifs dans une perspective de développement des personnes et des communautés. Elles sont la clé de leur succès socioéconomique.

En tant qu’entreprises ayant une identité propre et des valeurs humaines, nous déclarons que les coopératives et mutuelles sont l’avenir parce qu’elles constituent une réelle prise en charge des citoyens. Pour être reconnues, elles ont le devoir de s’afficher et de se faire connaître.

En tant que force économique et sociale importante, nous déclarons que les coopératives et mutuelles doivent unir leurs connaissances et leurs expertises pour permettre l’accroissement et le rayonnement de la formule coopérative dans leur milieu.

En tant qu’entreprises responsables de leur bon fonctionnement, nous déclarons que les coopératives et mutuelles s’engagent dans la formation continue de leurs membres et employés et dans l’éducation citoyenne de la coopération.