Trois jeunes femmes ont décidé de louer les locaux d’une boulangerie qui existait depuis 20 ans et de créer en 2009 leur boulangerie, À l’emportée, coop. Elle porte bien son nom puisqu’elle est spécialisée dans la fabrication de mets de qualité pour des pique-niques, en plus du pain d’artisan, de la viennoiserie et de la vente de produits en vrac. Le trio féminin a opté pour une coopérative de travailleurs pour respecter ses propres valeurs, celle accordée au travail, et parce qu’une boulangerie de village n’est pas tout à fait un commerce comme les autres.

À l’emportée fonctionne six mois de l’année, de mai à octobre. Dès 6 h 30, les clients achètent leurs collations avant d’aller au travail ou en balade. Avec les particuliers, les gîtes et les restaurants pour le pain, la moitié de la clientèle est locale, l’autre moitié composée de touristes.

Chaque nuit, une fournée de pains de grains variés et de viennoiseries prend place sur les étals, avec des sandwichs, des salades, de l’hummus et du pâté végétal, des pâtisseries, des noix, des confitures, des boissons et même des caramels faits maison. « Tout ce qui peut s’étendre sur du pain et qui peut être emporté pour manger sur le pouce », résume Galadrielle, une des boulangères. Les cuisinières choisissent des ingrédients régionaux, comme les petits fruits et les champignons sauvages de la Côte-Nord, la farine traditionnelle de Charlevoix. Elles recherchent toujours la qualité : terroir, biologique, écologique ou équitable. L’exigence porte aussi sur les emballages : recyclables, du papier brun léger et le moins de contenants possible.

Les valeurs pour motivation

Danielle Harvey, Galadrielle B. Landreville et Karine Vivier ont fondé leur coopérative en avril 2009 et ont employé entre six et huit personnes en 2011. Elles ont choisi la coopérative comme structure « pour que la boulangerie se perpétue après nous, quand nous serons des vieilles dames à nous bercer dans nos chaises, ou si l’une d’entre nous quitte la coopérative ».

Ce projet leur tenait à cœur « car une boulangerie est une sorte de commerce à part dans un village, qui procure une qualité de vie pour les gens de Tadoussac. L’objectif de diversifier l’offre alimentaire fait partie de nos lettres patentes. Avec des produits de qualité ou que l’on ne trouve pas ailleurs, comme les produits sans gluten, on dépanne les gens ».

Trois membres travailleurs, c’est le nombre minimum requis pour créer ce type de coopérative, et le trio constitue le conseil d’administration, avec une voix décisionnelle pour chacune, « et une seule, précise Danielle Harvey. Nous sommes à égalité, à tous les points de vue ». Elles affirment leurs valeurs, avec autant de douceur dans la voix que d’humilité. « On n’est pas au service du capital, et les valeurs d’économie sociale sont les nôtres », complète Karine Vivier.

Créer des règles et un fonctionnement

Pour démarrer leur coopérative, les trois membres ont décidé de fixer une part sociale « pas très haute » avec un montant financier, une mise de fonds constituée en partie d’équipements et le reste réparti en parts privilégiées dont elles pourront être remboursées à partir de trois ans et sur lesquelles elles peuvent percevoir des intérêts, votés chaque année. Les ristournes sont calculées au prorata des heures travaillées.

Selon les règlements généraux de leur coopérative, une catégorie de membres auxiliaires est prévue, « pour des travailleurs qui voudraient rentrer dans la coop pour une période d’essai de 90 jours ». Et c’est ce que souhaitent les trois jeunes femmes. « Notre projet est de créer aussi des jardins de plantes indigènes à inclure dans notre cuisine, avec des cueilleurs comme membres travailleurs. On s’occupe d’abord de la boulangerie, et après on va travailler sur ce volet ».

Danielle Harvey, membre fondatrice

Contraignante, leur coop?

« Il y en a des contraintes, en gestion administrative et réglementaire, mais on fait avec et on s’améliore ». Pour les contraintes légales, la boulangerie est soumise à la Loi sur les entreprises et à celle sur les coopératives. En plus de l’habituelle déclaration d’impôts, elle doit fournir un rapport annuel d’activités, des règlements de régie interne et des états financiers au ministère du Développement économique, de l’Innovation et de l’Exportation (MDEIE).

Les boulangères évoquent tout de même le désavantage « de ne pas pouvoir vendre notre coopérative comme une entreprise, quand nous partirons ». Mais au bout du compte, elles sont plus que satisfaites, et leurs résultats financiers de la deuxième année d’exercice dépassent leurs prévisions. Et puis, « notre plus grosse paie, c’est les gens qui sont contents, qui apprécient nos produits et qui attendent l’ouverture de la boulangerie au printemps ».