«Dans mes trois ans de baccalauréat, trente minutes ont été consacrées aux coopératives, lecture comprise», confiait récemment au journal Ensemble un diplômé en gestion qui a préféré taire l’identité de son institution d’enseignement. La coopération aurait-elle disparu de la pensée économique? C’est ce que suggère Stefano Zamagni, vice-directeur du Bologna Centre et ancien doyen de la Faculté d’économie de l’Université de Bologne. Il a décrit hier les causes et opportunités de cette extinction dans une conférence teintée d’espoir, en ouverture de Imaginons 2012. Ce congrès international sur l’économie des coopératives est un prélude au Sommet international des coopératives, qui se tient à Québec et Lévis cette semaine.

À l’origine de la disparition des coopératives de la pensée économique, explique le chercheur, sont deux vices cachés qui fissurent les fondations du néolibéralisme. Le premier est une erreur anthropologique, celle de croire que tous les humains sont des homo economicus, caractérisés par l’intérêt personnel et l’individualisme. Des études récentes, fondées sur les habitudes de vie et de consommation, démontrent qu’une minorité de répondants oriente ses choix en fonction de ces critères.

Le second vice caché est méthodologique. La définition de l’efficacité économique serait incomplète, car elle n’inclut que les facteurs propres au capitalisme. Coûts, bénéfices, rendement, mais rien à propos des humains, de leur qualité de vie, des écosystèmes pourtant indispensables à la disponibilité des ressources etc. À cette aulne, les coopératives sont évidemment jugées inefficaces. L’inefficacité implique l’irréalisme et discrédite le mouvement.

«Les coopératives n’ont jamais réagi à ces deux vices», laisse tomber M. Zamagni.

Après avoir semé le désespoir dans la salle, le chercheur italien a soulevé les opportunités créées par cette situation. Les coopératives ont toujours été «tolérées», dit-il, dans les secteurs laissés pour compte par l’État d’un côté et l’économie de marché de l’autre. En affaiblissant l’État et en exacerbant la recherche du profit, la mondialisation creuse l’écart entre ces deux instances. Les coopératives investissent cette faille et créent une impulsion dans tous les secteurs.

Trois opportunités

Si les coops prennent leur place, M. Zamagni l’explique par trois raisons. D’une part, la hausse des inégalités, considérée comme un «externalité pécunière» par les économistes néolibéraux, est une «conséquence involontaire» des fluctuations de prix. Puisque l’État ne peut plus compenser, c’est une opportunité pour les coopératives.

La deuxième raison, c’est la démocratie. La démocratie politique, selon le chercheur, ne peut exister que si elle est soutenue par l’existence d’une démocratie économique. Les coopératives sont l’incarnation par excellence de la démocratie économique, et leur existence favorise la diversité économique, qui est aussi une source de stabilité. Il faut les reconnaître en modifiant les lois de la concurrence.

La liberté est la troisième opportunité des coopératives. Cette liberté, au-delà de celle qui s’exerce en opposition à l’oppression, doit aussi permettre d’exercer l’expression et la réalisation de soi. Cette liberté, affirme M. Zamagni, est source de motivation intrinsèque. Les coopératives sont bâties sur une telle motivation.