Dans un documentaire présenté devant les participants du congrès Imagine 2012 tenu hier en prélude au Sommet international des coopératives qui s’ouvre aujourd’hui à Québec et Lévis, l’économiste chilien et membre du World Future Concil, Manfred Max-Neef, livre un constat pessimiste de l’avenir de la planète et des désastres écologiques qui la guettent. Pointant du doigt l’économie, les politiciens qui ne pensent qu’à court terme et les universités qui maintiennent leurs étudiants dans un savoir que l’on sait pertinemment nocif sans cultiver chez eux le jugement critique, le professeur prédit le pire: «Je ne sais pas ce que l’on doit faire pour changer les choses. Je crois qu’elles vont finir par changer d’elles-mêmes, de façon catastrophique.» Trois conférenciers invités ont présenté leur analyse.

Comment créer une économie juste, axée sur le développement durable et susceptible d’éviter les cataclysmes écologiques? Selon Ronald Colman, fondateur et directeur général de GPI Atlantic, il est évident que c’est le mouvement coopératif doit initier le changement: «Sinon, qui le fera? Sûrement pas les institutions. Sauf que souvent, le système comptable des coopératives n’est pas différent de celui du marché qui nous a mené dans le chaos actuel. Il faut donc commencer par établir un système comptable rigoureux qui tient compte des valeurs humaines, ainsi que des coûts environnementaux et sociaux.» En d’autres termes, il est impératif de considérer l’IPR (Indice de Progrès Réel ou GPI, Genuine Progress Index) et de mettre de côté le traditionnel PIB pour adopter rapidement cette autre façon de mesurer le progrès.

Pour Neva Goodwin, codirectrice du Global Development And Environment Institute de l’université de Tufts, on ne peut que constater l’échec systématique du marché et il faut dès maintenant remettre la priorité sur l’humain et cesser de parler en terme de maximisation des profits. «Les prix affectent nos vies et sont fixés par les marchés, mais ces marchés ne font pas un bon travail lorsqu’ils déterminent certains prix critiques dans nos vies», affirme-t-elle en ouverture de sa conférence. Selon elle, il est urgent de miser sur un marché qui fixerait des prix permettant de promouvoir des valeurs humaines appropriées (l’équité, les réalités économiques et les besoins présents et futurs), et d’éviter le travail improductif. «Par le travail improductif, j’entends celui qui cause préjudice à la personne qui en consomme le fruit (la cigarette, par exemple), les produits de mauvaise qualité ou destinés à une obsolescence rapide, ceux qui nécessitent une manipulation des désirs afin d’être vendus sur un marché déjà saturé, ainsi que ceux qui ont de sérieuses conséquences sociales ou environnementales négatives», précise-t-elle.

La situation, bien que complexe, n’est pourtant pas sans issues, comme nous le rappelle William Rees, professeur émérite à l’École de planification communautaire et régionale de l’Université de la Colombie-Britannique. Ses recherches sur l’écologie humaine et économique le mènent, lui aussi, à un constat pessimiste de la situation. Mais selon lui, l’humain a les capacités biologiques de résoudre le problème: «Ce sont les gens les plus éduqués qui ont le pire impact sur la planète. Pourquoi? Parce qu’ils y voient une occasion de profits! La passion et les instincts triomphent trop souvent de la raison. Pourtant, si l’homo sapiens ne continue pas à chercher des expériences qui renforcent ses mauvaises habitudes, il peut miser sur les cinq qualités émotionnelles et intellectuelles uniques qui lui permettent de changer les choses.» Ainsi, il fait appel à la capacité de logique et d’analyse de l’homme, à son habileté à planifier le futur, à son jugement moral, à sa compassion et à son penchant naturel pour la coopération. Des solutions? Il propose entre autres la déglobalisation et la valorisation de l’économie locale afin de réduire la dépendance des régions et des pays à des ressources étrangères, tout en nous appelant à une action urgente: «Let’s wake up people, it’s time to open the door» («Réveillons-nous, on sonne à la porte»).

Au même moment, se tenait le congrès international des coopératives funéraires. Dans un mot d’ouverture, la présidente et chef de la direction du Mouvement Desjardins, Monique F. Leroux, soulignait l’importance humaine des coopératives funéraires: «Ce qui est important, c’est que votre seule présence dans le marché a un effet régulateur sur les coûts associés aux services funéraires et surtout sur la qualité de l’accompagnement. Vous privilégiez aussi l’achat local et vous faites de l’entraide auprès des familles qui vivent un deuil. Ce sont autant davantages humains offerts à vos membres. Autant d’attentions portées aux personnes. Autant de façons de manifester que l’humain a préséance sur l’argent.»