Depuis l’adoption de la loi 78, le Québec vit dorénavant sous un régime un tant soit moins démocratique et un tant soit plus autoritaire. Que ce soit du côté des fédérations étudiantes (CLASSE, FECQ, FEUQ), du Parti Québécois, de Québec Solidaire et d’Option Nationale, la loi 78 est perçue, sans équivoque, comme un pas décisif dans la marche menant à l’érosion des libertés civiles. Pour la première fois depuis le début du conflit étudiant de 2012, le gouvernement libéral utilise son pouvoir législatif pour forcer la résolution du contentieux. Ce faisant, il a entamé la criminalisation non seulement du mouvement étudiant mais aussi de tout autre mouvement qui pourrait lui être potentiellement antagoniste en cette année électorale.

Le 22 mai dernier à Montréal, une manifestation monstre a regroupé plusieurs centaines de milliers de citoyens qui s’opposent non plus uniquement à la hausse des frais de scolarité, mais aussi à la loi 78 et à ce gouvernement libéral qui a à leurs yeux décisivement franchi ce gouffre autoritaire sans scrupule et sans misère. Avec les arrestations massives du 23 mai – plus de 700 arrestations à Montréal, Québec et Sherbrooke sous la loi 78 – la grogne populaire va en s’intensifiant.

Plusieurs autres voix se sont jointes à la dénonciation de la loi spéciale. La clinique juridique Juripop a entamé une requête en nullité de la loi 78 (les citoyens peuvent aller ajouter leur nom à la demande de requête à l’adresse www.loi78.com). Le Barreau du Québec s’est lui aussi prononcé sur la loi, clamant que la négociation serait préférable à la force et jugeant que la loi risque de fragiliser davantage le climat social. La CLASSE s’est prononcée fermement en faveur d’une désobéissance pacifique à la loi. Ce faisant, elle rejoint les propos d’Amir Khadir qui a aussi officiellement invité la population à ne pas respecter la nouvelle loi. Un site internet a aussi été mis sur pied (www.arretezmoiquelquun.com) sur lequel la population peut annoncer son intention de désobéir à la loi. À Montréal, une dénommée Marik Audet a débuté une grève de la faim le 18 mai pour dénoncer la loi et le gouvernement Charest.

Les leaders étudiants ont réaffirmé leur dissidence face à la loi 78, lors d’un point de presse avant la manifestation du 22 mai, qui a réuni plusieurs centaines de milliers de personnes. Gabriel Nadeau-Dubois, au centre, doit comparaître le 29 mai pour faire face à des accusations d’outrage au tribunal pour avoir appelé au non-respect d’une injonction obtenue par un étudiant en arts visuels de l’Université Laval, Jean-François Morasse. Cette judiciarisation du conflit est encouragée par le gouvernement, au mépris de la démocratie étudiante.

Contenu et justification de la loi 78

Intitulée «Loi permettant aux étudiants de recevoir l’enseignement dispensé par les établissements de niveau postsecondaire qu’ils fréquentent», la loi 78 se revendique héroïquement de venir à la défense des étudiants et étudiantes qui, voulant aller à leurs cours, se sont faits brimer de leur droit à l’éducation par les étudiants grévistes. La loi se veut, tout aussi héroïquement, venir à la défense des habitants de Montréal qui, si l’on se fie aux dires du gouvernement, sont les premières victimes des actions étudiantes. Il est commun pour les pouvoirs autoritaires de se façonner des victimes de façon à pouvoir se dresser en sauveur. Mais un sauveur a besoin d’outils, et souvent, ces outils impliquent le retranchement des droits démocratiques.

Le texte de la loi 78 est disponible intégralement sur le site de l’Assemblée Nationale. Voici une liste non-exhaustive d’éléments importants contenus dans la loi:

  • La loi force la suspension des sessions et la reprise subséquente des cours d’ici le 17 août 2012.
  • La loi force le retour au travail des salariés d’établissements d’enseignement postsecondaire, incluant le corps professoral.
  • La loi interdit aux associations syndicales d’enseignants d’empêcher ou de contrevenir au retour en classe.
  • La loi rend illégal à quiconque de bloquer ou de rendre difficile l’accès aux cours pour les étudiants souhaitant y assister.
  • La loi force les manifestations ayant lieu sur le terrain d’un établissement d’enseignement postsecondaire à se tenir à plus de 50 mètres des limites externes du dit terrain.
  • La loi rend illégale toute manifestation de plus de 50 personnes qui n’a pas fourni au service policier l’information suivante 8 heures avant le début de la manifestation : date, heure, durée, lieu, itinéraire, moyens de transport utilisés.
  • Le ministère de l’Éducation, des Loisirs et des Sports se réserve le droit de forcer les associations étudiantes à couper leurs cotisations aux fédérations étudiantes.
  • Les amendes pour les contrevenants sont de 1 000 à 5 000 $ pour les individus; de 7 000 à 35 000 $ pour les leaders, les employés, les porte-paroles et les organisateurs de manifestations; de 25 000 à 125 000 $ pour les associations étudiantes, les fédérations d’associations étudiantes, les syndicats et associations d’employés et tout autre organisme ou groupement.
  • Le gouvernement se réserve le droit de modifier ou d’amender la loi selon son gré.

La loi peut être interprétée de plusieurs manières selon que l’on est pour ou contre la hausse des frais de scolarité, pour ou contre la grève, pour ou contre les injonctions, etc. Cependant, un fait est indéniable: la loi use de la force pour tenter de mater le mouvement étudiant. Avec cette loi, le gouvernement libéral non seulement criminalise certaines formes de manifestations et d’actions individuelles et collectives, mais il disqualifie le processus démocratique qui a mené au déclenchement de la grève. Les étudiants qui refuseront d’aller à leurs cours ne seront plus des grévistes légalement reconnus, ils seront des manifestants qui font l’école buissonnière.

Petite notice historique

Pour certains, la loi peut sembler anodine et l’on pourrait même penser qu’elle ne concerne que les étudiants. Il faut cependant comprendre que la loi ne se limite pas au conflit étudiant, bien qu’elle le vise spécifiquement. Dans un contexte où la mouvance populaire va en s’intensifiant partout sur la planète, il est important de bien lire ce message que nous envoie le gouvernement. Ce que l’on doit comprendre est qu’il sera prêt à intervenir avec force, autorité et discipline face à la dissidence future. Ce message ne doit pas être sous-estimé.

Si l’histoire des dictatures modernes contient une leçon, c’est bien que la liberté d’association et de manifestation est une des premières à disparaître lorsqu’un État emprunte le virage autoritaire. Il en était ainsi avec Hitler qui, alors qu’il était chancelier, prohiba les rassemblements publics pendant l’année électorale de 1932-1933, un an avant l’adoption de la loi des pleins pouvoirs. Il en était également ainsi avec les lois fascistissimes de Mussolini qui éliminèrent le droit de grève et qui soumirent toutes associations citoyennes au contrôle de la police. Sous Pinochet, la grève était passible de la peine de mort. Sous Kaddafi, la loi 71 interdit toute activité politique indépendante. Dans l’Espagne de Franco, les rencontres des syndicats antagonistes au gouvernement militaire furent également déclarées illégales.

Ces exemples doivent servir de mise en garde. Chaque fois qu’un gouvernement a opté pour la force plutôt que pour le dialogue, chaque fois que des droits fondamentaux furent limités ou éliminés, chaque fois que certaines formes de rassemblement démocratique sont devenues illégales, les sociétés ont dérivé vers des formes de pouvoir autoritaires. C’est pourquoi cette loi doit être prise avec le plus grand sérieux par l’ensemble de la population. Une pierre est lancée; il est maintenant du devoir citoyen d’être aux aguets.

Fugace revirement de situation, quand la foule s’est refermée derrière une dizaine de policiers qui tentaient de la faire reculer rue Saint-Denis, le 20 mai.

Le 20 mai, «À qui la rue? À nous la rue!», scandait la foule.

La liberté de presse est aussi menacée, alors que plusieurs journalistes, dont ici l’équipe de CUTV qui retransmet en direct les manifestations sur Internet, ont été arrêtés depuis le début du conflit.

Manifestation nocturne du 20 mai.

L’opposition à la loi 78 et au règlement municipal interdisant les masques prend souvent des formes très créatives.

La manifestation nocturne du 21 mai a regroupé près de 10000 personnes qui ont défié pacifiquement la loi 78.

Les milliers de manifestants rencontrent une ligne de policiers anti-émeute sur le chemin de la Côte-Saint-Luc le 21 mai en fin de soirée, sans incident.

Le 22 mai, sous un ciel pluvieux, ils étaient des centaines de milliers à défier pacifiquement la loi 78 pour souligner le centième jour de la grève étudiante.

Les Ainé-e-s contre la hausse étaient de la partie, le 22 mai.

Existe-t-il une telle chose qu’une boucle d’oreille illégale?

Rappel historique des régimes du 20e siècle.

Ensemble, le 22 mai.

Rappel aux Libéraux: votre priorité, n’était-ce pas la santé?

Un étudiant sonne le départ de la manifestation de la CLASSE, le 22 mai.

Déploiement de la fameuse bannière aérienne de la CLASSE, le 22 mai.

Le 22 mai, les manifestants passent près du point de départ après un long parcours, et réalisent que la manifestation n’a pas encore terminé de quitter la place des spectacles.

Très nombreuse, la manifestation s’est fractionnée le 22 mai, alors que la CLASSE a rapidement bifurqué de l’intinéraire convenu. Plusieurs imposantes manifestations ont ainsi parcouru les rues de la ville pendant l’après-midi.

Cet enfant grandira-t-il sous la loi 78 et devra-t-il payer le double de frais de scolarité?


La manifestation du 22 avril, qui a réuni pacifiquement plusieurs centaines de milliers de personnes de tout âge, annonçait la lumière au bout du tunnel pour les groupes opposés à la loi 78. Toutefois, dès la manifestation nocturne du lendemain, des arrestations massives pour attroupement illégal ont touché des centaines de personnes.

Photos: Nicolas Falcimaigne