Le mois de mars est celui des semis intérieurs, pour un nombre croissant de jardiniers. L’essor des fêtes des semences, organisées depuis plus d’une décennie un peu partout au Québec, témoigne de cet engouement pour l’agriculture de proximité. Depuis quatre ans, le phénomène s’est même imposé en pleine ville, avec la Fête des semences de Québec, organisée par le Réseau de l’agriculture urbaine de Québec (RAUQ). La quatrième édition se tenait à l’Université Laval le 3 mars dernier et a accueilli plus de 3000 personnes. Signe de transition?

«Année après année, on voit une augmentation de l’achalandage», se réjouit Christine Gingras, directrice générale adjointe de Nature Québec et porte-parole du RAUQ. Elle y voit un changement de mentalité chez les citadins. «Pour nous, ça démontre que la population de Québec est vraiment rendue à intégrer l’agriculture urbaine, à s’intéresser à ce qu’on mange, à ce qu’on produit, et à être un peu un acteur dans son alimentation.» Les fêtes de semences étaient plutôt en campagne à l’origine, comme à la Coopérative La Mauve, de Saint-Vallier, qui tenait sa onzième édition la veille.

D’autres y voient un effet de mode. L’un des initiateurs du groupe Transition Québec centre-ville, Antoine Carrier, parle même du «phénomène Ricardo», l’animateur de télé culinaire Ricardo Larrivée. «Son émission est allée chercher un grand public, donc on voit beaucoup de nouveaux visages.»

M. Carrier, également impliqué au sein des Amis de la Terre de Québec et du jardin communautaire le Tournesol, croit tout de même qu’on assiste à «une prise de conscience graduelle des enjeux de changements climatiques, de la vulnérabilité de notre système économique, puis aussi de l’augmentation des prix du pétrole». Il croit aussi qu’un événement comme la Fête des semences «développe une solidarité envers les agriculteurs, les gens qui travaillent à longueur d’année à nourrir la population et qui aujourd’hui sont dans une situation qui n’est pas particulièrement facile».

Ruée vers les semences

Ce cadre convivial et festif, avec des activités pour les enfants, des kiosques et des conférences pour les plus grands, accompagne ce qui est avant tout le grand marché des semences : «les semences biologiques, du patrimoine, des semences rares, explique Christine Gingras. On recueille ici à peu près tous les meilleurs semenciers du Québec, qui se retrouvent ici et sont très populaires».

Parmi ces semenciers, l’un des plus éloignés était sans doute la Ferme coopérative Tourne-Sol, qui œuvre depuis 2004 dans la petite localité des Cèdres, à 60 km au sud-ouest de Montréal, dans la MRC de Vaudreuil-Soulanges. «C’est une bonne manière de se faire connaître de participer aux fêtes des semences. On fait des ventes intéressantes aussi. Aujourd’hui c’était bondé, les gens se ruaient sur les semenciers, c’était vraiment le fun», témoigne Frédéric Thériault, vice-président et fondateur.

«Les semences, ça fait partie de notre production depuis le départ», souligne le maraîcher. C’était d’abord une production marginale, mais c’est maintenant une activité en croissance dans la coopérative : «à l’année 3 environ, on a vraiment lancé la compagnie de semences. On produit aussi à plus grande échelle pour d’autres compagnies de semences, pour des agriculteurs en plus grande quantité».

Une coopérative pour regrouper les agriculteurs de proximité

Non contents de gérer la ferme Tourne-Sol en coopérative, les membres de la coop se tournent vers les autres agriculteurs de proximité du Québec pour mettre sur pied un regroupement, la Coopérative pour l’agriculture de proximité écologique (CAPÉ). «Ça va être une manière de mettre de l’avant nos intérêts, nos besoins, et de devenir un interlocuteur dans l’arène politique au niveau agricole, explique M. Thériault. Il y a de plus en plus de gens qui viennent nous voir au marché, qui achètent nos légumes, il y a de plus en plus de gens qui sont conscients de leur alimentation, qui veulent avoir quelque chose de vrai, d’authentique, de bon, de santé».

Pour le jeune coopérateur agricole, c’est un véritable projet de société qui est en jeu. «Si on veut repeupler les campagnes, si on veut des villages dynamiques, ça va prendre plus de petites fermes qui nourrissent le monde d’ici, s’exclame-t-il. C’est pour ça qu’on forme la CAPÉ, c’est pour se mettre ensemble, pour se donner une force : échange d’information, échange de connaissances, mise en marché en commun, achat en commun, et puis représentation politique pour que le MAPAQ, les gouvernements, la financière agricole commencent à soutenir davantage ce mode d’agriculture-là, qui je pense est important pour le développement rural au Québec, pour nourrir le monde au Québec et pour construire une nation souveraine alimentairement.»