La Coopérative de développement régional (CDR) Outaouais-Laurentides a décidé, lors de sa dernière assemblée générale, de devenir une coopérative de solidarité. Le journal Ensemble a saisi cette occasion pour s’entretenir avec son directeur général Patrick Duguay, un homme confiant en l’avenir, fier de sa mission, de son équipe et des résultats obtenus. Il a été possible de savoir pourquoi la CDR a décidé de passer de coop d’usagers à coop de solidarité, mais aussi d’aborder la question de la Loi sur l’économie sociale, qui doit être adoptée bientôt par le gouvernement du Québec.

Michèle Marchand, journal Ensemble: M. Duguay, la Coopérative de développement régional Outaouais-Laurentides (CDR-OL) n’avait que de bonnes nouvelles à annoncer à son AGA : 18 coopératives toutes neuves sur le territoire, 132271$ de surplus monétaire, une équipe stable d’employés satisfaits et plusieurs projets porteurs à l’étude. Mais le point culminant de l’AGA a été l’annonce que le statut de la CDR-OL allait passer de coopérative d’usagers à coopérative de solidarité. Qu’est-ce qui est en jeu dans cette transformation?

Patrick Duguay, CDR Outaouais-Laurentides: Il y a 40 ans que la Coopérative de développement régional Outaouais-Laurentides existe. À l’occasion de cet anniversaire, le CA a cru bon d’amorcer une réflexion quant à son mode de fonctionnement, son statut, etc. Les coops de solidarité n’existaient pas à l’époque de sa création. Ce modèle de coops a été créé vers 1995, 1996. Il permet aux employés d’être partie prenante grâce à une gestion participative. Et on a pensé que ce serait une belle manière de reconnaître leur apport et leur valeur. Ça permettrait aussi de s’ouvrir aux membres de soutien. Ça permettrait aux travailleurs et aux participants du milieu de s’approprier la CDR.

Le CA va donc bientôt convoquer une nouvelle assemblée pour étudier en plénière la possibilité de changement de statut. Les membres ont un mot à dire sur leur avenir.

Michèle Marchand: Qu’est-ce qui, d’après vous, distingue la CDR-OL des autres CDR? Vous en avez fait mention durant l’AGA, en disant que vous étiez des «délinquants». Qu’entendiez-vous par là?

Patrick Duguay: Délinquants… À cause de notre organisation particulière basée sur une relation de confiance. On est un peu non-conventionnels dans notre manière d’agir. Nos employés sont entièrement autonomes et je ne passe pas en arrière d’eux pour vérifier leur travail. Ils sont engagés dans leur travail et on les reconnaît comme tels. Ce sont de vrais militants qui ont à cœur la mission de la CDR: créer des liens avec les entreprises d’économie sociale de la région et développer la présence et le dynamisme des entreprises collectives.

C’est pourquoi nous connaissons une grande stabilité au niveau des ressources humaines. À cause de cette reconnaissance. Nous ne sommes pas des experts, nous sommes des développeurs. Nous ne faisons pas du développement par la coopérative, nous faisons du développement de coopératives. Nous savons qui sont nos vrais partenaires: la communauté et le milieu. C’est la coopérative au service du développement de la communauté. Et puis on est aussi reconnus pour notre grande simplicité, notre facilité d’approche. Ça va avec l’implication.

Les régions des Laurentides et de l’Outaouais ne sont pas les plus grandes régions ni les plus populeuses au pays, mais en 2012, 18 nouvelles coopératives y ont vu le jour., ce qui nous place dans le peloton de tête des coops au Québec. Ce n’est pas nous qui les créons, c’est le dynamisme des gens dans nos communautés. Nous ne faisons que parler de coopératives, insuffler des valeurs, prendre part à cette activité. Faire en sorte que la coopération rayonne en tant qu’outil de solidarité, outil d’économie performant, outil d’équité et de justice.

Michèle Marchand: Vous avez parlé de 18 nouvelles coopératives sur votre territoire. Comment expliquez-vous un tel boum de coops dans votre région?

Patrick Duguay: La méconnaissance est le principal frein au développement des coopératives. La CDR intervient depuis 12 ans dans les Laurentides et l’Outaouais. Je crois que cette période nous a permis de nous faire connaître dans la région. De plus, la conjoncture économique difficile aidant, les citoyens des Laurentides voient naître des coops autour d’eux et apprennent à démystifier le modèle. Nous avons toujours observé l’effet d’entraînement qu’un projet réalisé avait sur l’émergence d’autres projets autour… cet effet d’entraînement s’appuie sur la réalisation de projets qui ont une certaine visibilité.

Michèle Marchand: Est-ce qu’un tel boum s’est déjà vu dans le passé?

Patrick Duguay: On observe souvent une recrudescence du développement coopératif dans les moments de crise. À mon avis, les crises financières mettent en relief les limites du modèle économique dominant et pousse les gens à se regrouper… la solidarité est depuis toujours une réponse aux catastrophes!

Michèle Marchand: Qu’ont en commun toutes ces nouvelles coopératives? Y a-t-il un trait particulier qui les unit? Vous avez mentionné: la créativité, l’imagination, je crois. La nouveauté. En quoi sont-elles nouvelles?

Patrick Duguay: Le développement coopératif actuel est très différent de celui des dernières décennies. Depuis les années 1990, nous assistons à une explosion des coopératives qui s’organisent maintenant plutôt en coops de solidarité, avec une composante de travailleurs importante. Les nouvelles coops s’organisent dans divers secteurs d’activité et sont principalement caractérisées par leur ancrage dans leur milieu. Ce sont des lieux de rassemblement de citoyens… c’est très différent.

Michèle Marchand: Cette évolution amène maintenant le gouvernement à légiférer pour encadrer le développement de l’économie sociale. À quoi peut-on s’attendre du projet de Loi 27, la loi-cadre sur l’économie sociale au Québec dont l’étude détaillée doit bientôt débuter à l’Assemblée nationale, débats auxquels vous participez en tant que président du Chantier d’économie sociale, un interlocuteur privilégié par le gouvernement?

Patrick Duguay: Je ne m’attends pas à grand changement par rapport au projet de loi initial. Il y a eu des propositions assez intéressantes comme le fait qu’on doive reconnaître la diversité des acteurs, par exemple. Le Gouvernement a reconnu deux interlocuteurs privilégiés : le Chantier d’économie sociale et le Conseil québécois de la coopération et de la mutualité (CQCM), mais il faudrait être plus précis.

Il faudrait aussi ajouter un article qui positionnerait les coopératives comme première solution aux relèves d’entreprises. Les entrepreneurs sont vieillissants, ça réglerait un problème s’ils pouvaient céder leur entreprise à leurs travailleurs. Ce n’est pas un choix traditionnel. Traditionnellement, c’est la famille qui prend la relève. Mais souvent la famille vend ou va s’installer ailleurs. C’est un enjeu d’occupation du territoire.

Le mandat de la table est de préciser la marge de manœuvre. Je crois qu’il n’y aura que des précisions apportées aux divers aspects de la loi. Mais je suis tout à fait confiant. D’une manière ou d’une autre, je suis déjà content de la loi. On a consulté, échangé, travaillé depuis plusieurs années avant de suggérer la loi à Pauline Marois [actuelle première ministre du Québec] et Laurent Lessard [ministre des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire du précédent gouvernement du Québec]. On est content que Mme Marois ait activé la machine.

Ça va être difficile, maintenant que la roue a commencé à tourner, de la retenir. Les CDR vont devoir adopter une approche plus globale. Ça ébranle la façon de faire institutionnelle. Les anciennes coops étaient très hiérarchisées. L’approche de l’économie sociale est plus transversale, moins formelle.

Certains acteurs (comme le CQCM) voudraient faire changer le nom de la loi et que ça devienne Loi sur l’économie sociale, coopérative et mutualiste. Mais ce serait une régression importante. L’économie sociale québécoise est très diversifiée.

Après l’audition du CQCM, il y a eu des échanges avec la ministre Kathleen Weil, porte-parole de l’opposition officielle en matière d’emploi et d’économie sociale. Elle ne comprend pas pourquoi on changerait le titre de la loi. En France, en Belgique, au Pérou, au Brésil, etc., le nom de l’économie sociale est toujours inclusif à toutes sortes d’entreprises collectives. Elles font toutes partie de la même famille, tel que définie par le Chantier de l’économie sociale. Ce serait aberrant de réduire le tout aux coopératives et aux mutualités. L’économie sociale est une économie plurielle. Mondialement, on reconnaît trois secteurs: privé, public et le tiers secteur. La première vise l’individu, le profit, l’accumulation de capital, la deuxième recherche le bien commun et la troisième consiste en l’économie sociale, un grand chapeau sous lequel on retrouve toutes les entreprises à caractère collectif.

Je crois que le gouvernement veut un grand chapeau, et la très grande majorité des intervenants aussi. Parmi les mémoires présentés, il n’y en a eu que quatre ou cinq qui préconisaient de segmenter la loi, contre au moins 30 mémoires qui se prononçaient pour le grand chapeau.

Je crois que nous vivons un grand moment. Dans l’histoire récente, il y a eu un certain nombre de jalons. L’économie sociale a vu le jour en 1996 au sommet de l’économie et de l’emploi. Le premier plan d’action a été formulé en 2008 sous la ministre libérale Nathalie Normandeau. Puis en 2013, la loi-cadre d’économie sociale a été déposée. C’est un geste de reconnaissance.

Le plan d’action, c’était des mesures à prendre. Cela s’adopte ou se rejette selon la conjoncture économique ou les gens au pouvoir, mais adopter une loi-cadre ça institutionnalise cette reconnaissance. Ce serait beaucoup de travail de la défaire.
J’ai travaillé 20 ans sur le dossier. J’en suis très fier.

Michèle Marchand: M. Duguay, comment s’est passée cette première session d’étude de la Loi 27, le 7 juin dernier?

Patrick Duguay: L’étude détaillée article par article a débuté comme prévu suite à l’adoption du principe de la loi à l’unanimité par tous les partis présents à l’Assemblée nationale. La démarche entreprise alors se passe tel que prévu et les amendements proposés viennent concrétiser les préoccupations exprimées par la majorité des intervenants entendus lors de la commission parlementaire. L’étude n’a pu être complétée avant la levée de la session… les travaux parlementaires demandent de la minutie et exigent de prendre le temps nécessaire pour ficeler une loi qui servira de cadre pour l’action gouvernementale à long terme.

Au nombre des amendements adoptés à ce jour, notons la reconnaissance de la dimension entrepreneuriale de l’économie sociale ainsi que ses dimensions sectorielles et territoriales. Les parlementaires ont également inclus dans le texte une référence au fait que l’expérience et l’expertise du Québec sont reconnues internationalement. La loi insistera aussi sur l’importance d’ouvrir et d’adapter les mesures et programmes gouvernementaux.