Qu’il semble loin le mythe du grand journaliste indépendant, les yeux rivés sur le monde, libre et hermétique aux pressions de toutes sortes, symbole triomphant d’une démocratie exemplaire. La réalité est bien plus inquiétante: précarisation croissante de la profession, dévalorisation du statut de journaliste, concentration des médias aux mains de grands groupes industriels, pressions et intimidations régulières…

Afin de faire l’inventaire de toutes les difficultés qui menacent aujourd’hui la profession, le journal Ensemble a effectué une tournée de consultation dans tout le Québec et recueilli quelque 749 interventions dans pas moins de 30 localités pour plus de 39 heures d’entrevues. Voici un premier bilan (loin d’être exhaustif) de cette tournée qui a mobilisé ceux qui se battent tous les jours pour une presse indépendante.

Le premier des dangers qui guette aujourd’hui les journalistes indépendants, c’est bien la précarisation de la profession. En 2013, un journaliste perçoit pour un feuillet le même tarif que depuis plusieurs décennies, et de plus en plus rares sont ceux qui bénéficient d’un contrat salarié. Certains rédacteurs en chef sont même contraints d’accepter de travailler à la pige.

* Cet article a été publié dans notre édition par abonnement en septembre.

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Dans ces conditions, il est très difficile d’en faire un métier, et peu nombreux sont ceux et celles qui arrivent à tirer leur épingle du jeu. Inévitablement, ce constat se traduit par une baisse des effectifs dans les rédactions et par la perte de personnes qualifiées au profit des services de relations publiques ou d’emplois mieux rémunérés. La rareté des journalistes dans certaines régions est devenue criante et les médias locaux ont parfois les plus grandes peines du monde à recruter des journalistes professionnels.

Moins de journalistes, mais pas moins de nouvelles à couvrir. Face aux restrictions budgétaires imposées par les patrons de presse plus soucieux de la rentabilité que de la qualité de leur journal, on en demande toujours plus aux journalistes en poste: prise de photos, de vidéos, animation des réseaux sociaux, etc. Dans ces conditions, difficile de traiter des sujets en profondeur, de mener une enquête sur plusieurs semaines ou de vérifier minutieusement chaque source et chaque information. Impossible alors de regagner la confiance de la population, qui n’a de cesse d’être déçue dès lors qu’elle tourne les pages de nos journaux.

Si la garantie d’indépendance devrait être l’un des piliers de la profession, elle reste largement menacée par la concentration de la presse: deux groupes possèdent presque tous les hebdos régionaux. Certes, c’est grâce à la présence de grands groupes que le «service journalistique» continue d’être assuré dans certaines régions. Mais à quel prix? Au prix d’une information orientée selon le positionnement de l’éditeur, parfois même passée sous silence, ou au prix d’une information qui ressemble à s’y méprendre à un publireportage, «l’enveloppe journalistique» en plus.

Plusieurs journalistes et éditeurs ont fait part de nombreuses intimidations morales, économiques, et même parfois physiques. Une vitrine fracassée, un impact de balle et un fier à bras qui débarque dans le bureau ont été rapportés, mais plus fréquemment encore le retrait d’un partenariat publicitaire ou le congédiement de représailles sont devenus des faits divers dans la jungle médiatique.

Au-delà des proximités entre les journalistes et les cercles de pouvoir, l’un des enjeux majeurs d’une presse libre concerne le financement des médias qui embauchent les journalistes indépendants. Le modèle gratuit continue de faire passer les intérêts publicitaires au-dessus des intérêts éditoriaux et les journaux qui (sur)vivent grâce aux abonnements semblent faire exception.

Aujourd’hui, les médias traditionnels sont devancés par l’instantanéité liée à l’apparition des médias sociaux. Certes l’initiative pour un journalisme citoyen doit être encouragée, mais avoir recours massivement à une démarche bénévole pour remplir les pages d’un journal ne garantit ni sa qualité ni sa pérennité et constitue ultimement une menace pour le journalisme indépendant.