Beaucoup de journalistes indépendants ont des projets ambitieux qui leur tiennent à cœur, comme des reportages à l’étranger. La triste réalité les rattrape souvent dans le détour – ils n’ont pas un rond pour le financer et le spectre de l’endettement vient inévitablement les hanter. Bonne nouvelle: terminée, la dépendance aux bourses et aux marges de crédit.

Une opportunité de financer ses projets sans devoir aller porter son ordinateur portable chez le prêteur sur gages est désormais à la portée de tous: le sociofinancement (de l’anglais crowdfunding), qui consiste à recueillir des fonds provenant de sources diverses en passant par une plateforme Internet. Il est une des nombreuses variantes de ce qu’on appelle la finance participative, un terme «décrivant tous les outils et méthodes de transaction financières entre les individus avec pas ou peu d’intermédiation par les acteurs traditionnels». Autrement dit, au lieu d’emprunter à la banque – avec tous les désagréments que çela comporte –, on peut maintenant faire appel à la puissance des réseaux sociaux, au travers desquels plusieurs donateurs, parfois de parfaits étrangers, versent une contribution financière au projet. Quelque chose comme de la philanthropie 2.0.

Le potentiel de ce bouche-à-oreille virtuel est énorme, mais nécessite beaucoup d’investissements en temps, en promotion et en diffusion. L’avantage principal est qu’un projet diffusé sur les réseaux sociaux peut atteindre des milliers de donateurs potentiels. Un projet qui aurait besoin de 10000$, par exemple, pourrait se financer avec l’aide de 1000 donateurs qui donneraient chacun 10$. Faites le calcul – un projet bien ficelé, avec une diffusion maximale, peut attiser beaucoup d’intérêt, donc beaucoup d’argent pour le projet. En échange d’un don, un «cadeau» est proposé aux donateurs, l’importance de celui-ci étant proportionnel au montant. Pour un documentaire, par exemple, un don de 20$ peut valoir une copie gratuite de l’œuvre, 100$ une invitation «VIP» à la première, 200$ une mention spéciale au générique, et ainsi de suite.

Créativité, initiative et fibre entrepreneuriale.

Le sociofinancement est actuellement en explosion, surtout dans les secteurs créatifs (arts, médias). Plusieurs plateformes sont devenues très populaires au fil du temps, avec en tête le site Kickstarter, qui jouit de la plus grande visibilité. C’est par cette plateforme que l’équipe de l’ancien président de l’Association des journalistes indépendants (AJIQ), Nicolas Langelier, a pu financer le démarrage du magazine Nouveau Projet. Petit hic: il faut avoir accès à un compte bancaire américain, le transfert de fonds se faisant par Amazon Payments, seulement disponible aux Etats-Unis. Heureusement, d’autres plateformes affichant de très hauts taux de succès sont disponibles pour les créateurs de projets québécois.

La meilleure option pour les journalistes indépendants d’ici est, pour le moment, Indiegogo, utilisée actuellement par le membre de l’AJIQ Marc-André Sabourin pour son projet Inouï, une plateforme numérique produisant du journalisme littéraire. En plus de permettre le transfert de fonds avec PayPal, elle offre des options de financement variées: il est possible de choisir entre un mode «flexible» (tous les fonds seront versés au projet même si ce dernier n’atteint pas son objectif de financement) ou «fixe» (l’objectif doit être atteint à 100% sinon tous les donateurs sont remboursés). Il existe même une plateforme québécoise, haricot.ca, qui a jusqu’à maintenant permis la concrétisation de 12 projets.

Pas une recette miracle

Mais au-delà des nombreux avantages, le concept n’est pas dépourvu d’inconvénients, si mineurs soient-ils. Le principal? L’investissement en temps. Plusieurs heures seront nécessaires non seulement pour ficeler le projet, mais également pour le gérer et en faire la promotion – se fier à l’idée du «fire and forget» (on poste et la diffusions se fait d’elle-même) associé aux réseaux sociaux est un peu utopique. On peut aussi penser que le sociofinancement comporte une date d’expiration: le nombre de donateurs qu’on peut rejoindre avec ce mode risque de s’étioler avec le temps, la plupart d’entre eux étant enclins à financer un, deux, peut-être trois projets, sans plus, nécessitant la recherche constante d’autres donateurs au sein de cercles sociaux de plus en plus éloignés.

En général, 25% des donateurs font partie du cercle «intime» des idéateurs (famille, amis, collègues proches), selon les administrateurs d’Indiegogo. Il faut donc surtout voir le sociofinancement comme un excellent moyen de démarrage. Cependant, il ne coûte jamais très cher d’essayer. Un dernier: le projet ne doit pas dépendre à 100% du sociofinancement. Il faut prévoir de recourir à d’autres formes de financement (banques, économies personnelles).

Le journalisme traditionnel serait en crise, dit-on. Heureusement, le 21e siècle offre de grandes opportunités pour le remodeler, et les journalistes indépendants sont les premiers à en bénéficier.

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L’auteur de ces lignes a financé un projet de journalisme en zone de guerre au Mali et en Afghanistan grâce à la plateforme Indiegogo.

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