«On dénonce une précarité des emplois dans le secteur de l’information. Les pigistes sont de plus en plus nombreux. Ils n’ont pas toujours le temps et les moyens de rédiger des articles de fond et ne doivent pas se mettre en mauvaise posture face aux décideurs et aux organismes locaux. Les tarifs des piges ont peu évolué depuis une quinzaine d’années.» Symptôme du délabrement de l’accès à l’information au Québec, les conditions de travail des journalistes indépendants déterminent aussi la qualité de l’information des citoyens. Ce troublant constat est tiré de L’état de la situation médiatique au Québec – L’avis du public, rapport de la tournée du Conseil de presse du Québec (CPQ) en 2008.

À l’heure où les lois du marchés règnent sans partage sur le secteur de l’information, comment se surprendre que les entreprises de presse répondent à une logique marchande où l’information devient un appât? Le lecteur devient un produit que l’on fournit à l’annonceur, le véritable client, et l’information n’est jugée importante que lorsqu’elle attire l’attention ou qu’elle sert l’intérêt du marché. Sensationnalisme, médiatisation des conflits, complaisance politique et articles de promotion sont monnaie courante dans les hebdos des grands groupes de presse qui s’étendent dans les régions du Québec. La presse indépendante, souvent d’économie sociale, tente de faire exception à la règle, mais son sous-financement lui coupe trop souvent les ailes. L’information de fonds, indépendante, est souvent fournie par des journalistes bénévoles qui créent des médias pour se faire entendre et exister.

Les journalistes sont le dernier rempart pouvant protéger le droit du lecteur à une information de qualité, dans les limites qui leur sont imposées et malgré une grande précarité professionnelle et des revenus inférieurs au salaire minimum. Le Groupe de travail sur le journalisme et l’avenir de l’information au Québec (GTJAIQ), qui a sillonné le Québec en 2010 sous la direction de Dominique Payette, constate que «lors de nos déplacements en région, nous avons rencontré beaucoup de journalistes qui travaillaient seuls. Ces journalistes de la presse locale et régionale ont souvent des territoires extrêmement vastes à couvrir et des moyens limités pour le faire».

Journalistes indépendants, pas toujours autant qu’il le faudrait

«La tendance lourde dans le marché est d’employer des journalistes indépendants: aucune charge sociale à payer, des tarifs très bas pour des articles réutilisables sur plusieurs plateformes et, bien souvent, cette exigence de la part des entreprises que le journaliste accepte seul la responsabilité en cas de poursuite.» Le rapport Payette, intitulé L’information au Québec – Un intérêt public, laisse ici entendre qu’il est plus risqué pour les journalistes indépendants sans sécurité d’emploi de céder à des «pressions qui peuvent s’exercer sur eux et qui les poussent à contrevenir aux exigences déontologiques».

En 2008 et en 2010, la même conclusion s’impose: pour protéger l’accès du public à l’information, il faut protéger les journalistes indépendants, et à travers eux la presse indépendante. «Indépendant» ne doit pas seulement signifier pigiste, travailleur autonome, mais également libre, incorruptible et garant d’une information indépendante.

Le quatrième pouvoir

Car l’information est importante : selon le Bilan 2012 de la firme Influence Communication, qui revenait sur l’élection provinciale, «comme à l’habitude, le parti le plus médiatisé a été élu». La ressemblance entre le graphique du poids média des partis durant la campagne et celui du résultat des élections, superposés dans le rapport, est particulièrement saisissante. Considérant que la propriété de l’écrasante majorité de la presse écrite et électronique repose sur une poignée de conglomérats, qui ont des intérêts financiers dans presque tous les secteurs d’activité, seule l’indépendance des journalistes pourrait interdire de penser que l’élection a échappé aux citoyens.

L’indépendance du journalisme est aussi importante pour la démocratie que celle des juges, des députés et des ministres. Aux pouvoirs judiciaire, législatif et exécutif, s’ajoute celui de l’information, souvent appelé le «quatrième pouvoir». Pour qu’une démocratie fonctionne, ces pouvoirs doivent non seulement être séparés entre eux, mais être également indépendants de toute influence extérieure. Accepterait-on que le financement des cours de justice, du parlement ou du bureau du premier ministre, repose sur des revenus publicitaires?

À l’approche des États généraux sur le journalisme indépendant, que l’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ) convoquera pour septembre 2013, il est grand temps de chercher des moyens de consolider les conditions qui régissent la pratique du journalisme indépendant, aussi bien que celles dans lesquelles évolue la presse indépendante.

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Documentation

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*Raymond Corriveau est co-président d’honneur de la Coopérative de journalisme indépendant, qui est l’éditeur du journal Ensemble.