Le documentaire Le prix des mots prendra l’affiche le 8 février prochain. Ce long métrage de Julien Fréchette nous donne un accès privilégié aux coulisses d’une saga judiciaire qui, entre 2008 et 2011, a opposé la société aurifère canadienne Barrick Gold à la maison d’édition Écosociété et aux auteurs du livre Noir Canada. Pillage, corruption et criminalité en Afrique.

En avril 2008, la veille de la publication de l’ouvrage, l’auteur Alain Deneault, ses collaborateurs ainsi qu’Écosociété reçoivent une mise en demeure de Barrick Gold. La minière menace de les poursuivre en diffamation si le livre est publié comme prévu. Ils décident d’aller de l’avant et, deux semaines plus tard, Barrick Gold intente une poursuite contre eux et réclame six millions de dollars en dommages: un million en dommages punitifs et cinq millions à titre de dommages moraux et compensatoires. Ce montant équivaut à 25 fois le chiffre d’affaires annuel des Éditions Écosociété.

Le livre contiendrait, selon la minière, des affirmations erronées et diffamatoires au sujet de ses activités passées en Tanzanie ainsi qu’au Congo. C’est en 1994 que Sutton Ressources, une société d’exploration minière de Vancouver qui sera achetée en 1999 par Barrick Gold, a acquis les riches gisements aurifères de Bulyanhulu en Tanzanie. Le site est alors occupé par des creuseurs artisanaux qui refusent de libérer les lieux pour que Sutton puisse débuter ses activités d’extraction.

Selon les auteurs de Noir Canada, le 7 août 1996, des bulldozers auraient alors recouvert les trous de l’exploitation et auraient enterré vifs quelques mineurs au passage. Selon Barrick, la consigne ordonnait seulement de remplir les trous pour mettre un terme aux activités des mineurs et Sutton avait alors pris des dispositions pour s’assurer qu’aucun d’entre eux n’occupaient alors le sous-sol.

Le poids de la justice

Julien Fréchette a suivi Alain Deneault et les autres protagonistes pendant près de quatre ans. Plongeant au sein de la procédure juridique, le réalisateur en montre toute la dureté pour ceux qui la vivent au quotidien. Ce qu’on y voit, c’est l’impatience, l’impression d’être toujours surveillé et l’incertitude devant des procédures complexes. Et surtout la solitude. Si un mouvement de sympathie pour les auteurs et la maison d’édition s’est manifesté à plusieurs reprises, une poursuite judiciaire de cette ampleur est un fardeau que le défendeur porte seul. On y perd des plumes: le coordonateur d’Écosociété, Guy Cheyney, en dépression, a dû se retirer du combat. Alain Deneault, à bout de souffle, a atterri sur un lit d’hôpital, la moitié du visage paralysé.

On remarquera au passage que les allégations qui ont été relayées dans Noir Canada ont été émises, depuis les années 1990, par plusieurs sources. La presse tanzanienne, des ONG internationales comme Mining Watch Canada et Amnistie Internationale ainsi que le journaliste indépendant Stephen Kerr, qui s’est rendu sur place, sont du nombre.

Julien Fréchette a rencontré Greg Palast, journaliste au quotidien britannique The Guardian. En 2002, dans son livre The Best Democracy Money Can Buy, Palast reprenait aussi ces propos. Citoyen des États-Unis, il soutient que jamais il n’aurait publié ce livre au Canada, par crainte des représailles. Si l’Assemblée nationale a adopté en 2009 une loi sur les poursuites-bâillons, cette dernière n’a pu mettre les auteurs et l’éditeur à l’abri des poursuites. Le projet de loi C-300 a quant à lui été rejeté en 2010 par les députés à Ottawa. Présenté sous un gouvernement minoritaire du Parti conservateur, il n’a trouvé l’appui que de 134 représentants alors que 140 s’y sont opposés.

Dernier acte

Au terme d’une guerre asymétrique, les parties en sont arrivées à un règlement hors-cour en octobre 2011. Selon ce dernier, le livre Noir Canada ne doit plus apparaître sur les tablettes des librairies et Écosociété a dû verser un «montant significatif» à la minière. La maison d’édition est toujours sujette à une poursuite de la corporation Banro, semblable à celle intentée par Barrick Gold mais en Ontario cette fois. La minière réclame cinq millions de dollars. De son côté, Alain Deneault a continué ses recherches sur les minières canadiennes. Les Éditions Écosociété ont publié l’automne dernier son livre Paradis sous terre. Comment le Canada est devenu la plaque tournante de l’industrie minière mondiale.

Le Prix des mots est une coproduction de MC2 Communication Média et de l’Office national du film. Il sortira en salle le 8 février prochain à Montréal au cinéma Excentris et à Québec au cinéma Le Clap. Il a été présenté en première mondiale aux Rencontres internationales du documentaire de Montréal en novembre 2012, où il a reçu la mention spéciale du prix Magnus-Isacsson.

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Le Prix des mots: la bande-annonce