Parallèlement au rassemblement monstre en l’honneur du jour de la Terre, une rencontre plus discrète se tenait à Westmount entre des aînés inuits du Nunavik et une vingtaine de scientifiques provenant des quatre coins de la planète. On y a abordé la question des effets des changements climatiques sur l’environnement et le mode de vie des Inuits ainsi que des pistes de solution.

L’événement – qui marquait à la fois le Jour de la Terre et la première journée de la Conférence mondiale de l’Année polaire internationale 2012 qui se déroule à Montréal du 22 au 27 avril – a réuni six aînés Inuits du Nunavik, Minnie Grey (ex-négociatrice sur l’autogouvernance au Nunavik de la société Makivik) ainsi que des chercheurs et scientifiques du domaine de la science polaire. La rencontre s’est déroulée dans une atmosphère intime à l’Institut culturel Avataq qui agit sous le mandat de la Conférence des Aînés du Nunavik.

Impacts du réchauffement climatique

Les conférenciers spécialement venus du Grand Nord pour l’occasion ont fait part de leur inquiétude à l’égard des effets parfois drastiques des changements climatiques sur leur mode de vie: «Notre environnement se modifie à vue d’œil: des arbres commencent à pousser dans la toundra, là où il n’y en avait pas auparavant.»

«Le processus de congélation de la glace a changé lui aussi: la glace ne se congèle plus complètement et reste tellement mince par endroits qu’on ne peut plus marcher dessus», ajoute Daniel Nulukie. «Par ailleurs, explique-t-il, la fonte des glaces et de la neige ne se fait plus par étapes, graduellement, mais presque instantanément. Avant, nous étions en mesure de facilement prédire la météo. Cela n’est plus le cas aujourd’hui: la température est trop variable et imprévisible.» Ces changements climatiques sont relativement récents. «Lorsque j’étais jeune, la première neige tombait en septembre, tandis qu’aujourd’hui, c’est jusqu’à la fin octobre qu’il faut attendre pour la voir», fait remarquer Willie Kumarluk, habitant du village d’Umiujaq qui pratique la chasse depuis une cinquantaine d’années.

Ces phénomènes environnementaux limitent l’accès aux animaux, qui sont à la base de la diète inuite. «Le poisson qui auparavant était disponible à longueur d’année, n’est aujourd’hui abondant qu’en été – il n’y en a presque plus en hiver», explique un conférencier. Quant aux populations de caribou et de béluga, elles sont en déclin (le réchauffement climatique, toutefois, ne serait qu’un parmi plusieurs facteurs pouvant être à l’origine de cette situation).

Face à ces phénomènes, les conférenciers Inuits admettent que la collaboration avec des scientifiques, basée sur le respect, est primordiale. «Pour cela il faut que les scientifiques qui s’impliquent dans le Nord s’éduquent sur notre culture et notre mode de vie. Le partage mutuel de connaissances entre Inuits et non-Inuits est essentiel», soulignent-ils.

«Une partie de la solution réside aussi dans la qualité de la communication et de l’information diffusée au sujet des réalités et défis vécus par les Inuits» tient à ajouter Charlie Arngaq, président de l’Institut Avataq.

Stéréotypes et perception négative

Mais l’information diffusée au sujet des Inuits n’est pas toujours de qualité. Récemment, l’Institut a porté plainte au Conseil de presse du Québec relativement à un dossier sur les Inuits publié dans La Presse. L’ensemble des articles et des photos du dossier a été dénoncé par M. Arngaq dans une lettre que le journal a refusé de publier. Il y déplore que le dossier en question véhicule une «fausse représentation des Inuits», est empreint de «négativisme» face à sa communauté et ne contient aucune mise en contexte des statistiques relatives aux problèmes sociaux vécus par les Inuits. Ce genre d’image négative «contribue à nourrir les stéréotypes et la discrimination raciale» envers les Inuits, argumente-t-il. C’est aussi dans cette veine que des médias du Nunavik ont qualifié le portrait des Inuits dans cette série d’articles de «simpliste», «incomplet» et «raciste».

Outré par la perception négative du Nord et de ses habitants, Robert Fréchette, directeur des communications et des publications de l’Institut rappelle que ce ne sont pas seulement les médias qui contribuent à perpétuer et diffuser cette image péjorative du Nord. «Prenez comme exemple la mauvaise blague du premier ministre Charest lors de son discours d’inauguration du Salon du Plan Nord le 20 avril dernier. Sa proposition d’envoyer travailler les étudiants dans le Nord reflète, à mon avis, un mépris à l’égard de cette région et une vision négative de cette dernière. Comme si le Nord était un endroit pénible, bon pour y envoyer des gens pour s’en débarrasser.»

Il demeure hors de tout doute que pour s’attaquer aux problèmes découlant des changements climatiques ainsi qu’aux défis connexes aux projets de développement planifiés dans le cadre du Plan Nord (actuellement en cours de négociation avec les Inuits), un changement de ce genre d’attitude envers le Nunavik et ses habitants est de mise. Cela passe par une meilleure connaissance des Inuits ainsi que de la complexe réalité de leur société et de leur région, qui était l’objectif derrière cette activité.