En Mauricie, l’unique épicerie de Saint- Joseph-de-Mékinac, mise en vente par son propriétaire depuis trois ans, a été rachetée in extremis par une coopérative formée par les habitants du village. «Après 22 ans, je prends ma retraite», déclare sans appel André Lemay, propriétaire de l’épicerie Lemay-Kinak. «Je ne peux même pas compter sur ma fille pour la reprendre: elle vient d’avoir son deuxième enfant!», ajoute-t-il avec humour.

Si la relève n’avait pas été préparée à l’avance, il est fort à croire que M. Lemay aurait laissé dans une situation critique les quelque 400 habitants de Trois-Rives, la municipalité dont fait partie Saint-Joseph-de- Mékinac. «Sans une épicerie à proximité, ce serait très difficile de s’approvisionner en pétrole», remarque ainsi Lucien Mongrain, maire de Trois-Rives. «Cela prendrait à chaque fois 30 minutes pour aller faire nos courses, contre 10 à 15 minutes présentement».

Située en bordure de trois lacs, et de deux rivières (Saint-Maurice et Mékinac), la municipalité de Trois-Rives regroupe les villages de Rivière-Matawin, Grande-Anse et Saint-Joseph-de-Mékinac.

Un service essentiel

L’épicerie Lemay-Kinak y tient non seulement lieu de dépanneur pour les résidents de la région, mais dispose aussi d’un poste à essence, d’un comptoir de fruits et légumes frais, d’une boucherie ainsi que d’une SAQ. «Mon commerce fait 4000 pieds carrés. L’été, avec l’afflux des touristes, il peut y avoir jusqu’à huit employés à travailler ici», précise André Lemay.

Pour parvenir à maintenir les services de ce commerce, trois options avaient été envisagées: fermer l’épicerie, espérer qu’elle soit rachetée par un particulier ou fonder une coopérative. C’est finalement l’idée de la coopérative de solidarité qui a été retenue.

Avec l’appui de Coopérative de développement régional (CDR) Centre du Québec/Mauricie, des consultations ont été lancées en 2009 pour savoir comment les habitants souhaitaient revitaliser le milieu. «Il en est ressorti qu’ils voulaient maintenir les services de proximité», explique Stéphanie Milot, Conseillère en entrepreneuriat collectif à la CDR. «Le comité local de développement a d’abord agi à titre de comité provisoire. Il a organisé des assemblées générales pour tenir la population informée des enjeux du projet.»

Coopérative de solidarité de Mékinac

Fondée le 5 février 2012, la Coopérative de solidarité de Mékinac compte 254 membres. Les objectifs financiers pour assurer la viabilité du projet avaient été fixés à 100000$. «Pour l’instant, on en est à 65000$ de masse monétaire, ce qui est très encourageant. D’autant qu’on n’a pas encore sollicité les subventions d’aide aux territoires dévitalisés», constate Serge Rouleau, président de la coopérative de solidarité.

La municipalité de Trois-Rives a elle aussi joué un rôle très actif dans la sauvegarde de l’épicerie. «Du côté municipal, on a investi 45000$ sur 10 ans et exempté le projet de taxes pendant 50 ans», explique le maire de Trois-Rives.

Les habitants de Trois Rives vont bientôt récolter le fruit de leurs efforts: les premiers travaux de rénovation du bâtiment devraient débuter dès le mois de mai. Le comité recherche à présent un gérant pour s’occuper du magasin.

La région de la Mauricie compte quelques exemples de succès qui ont permis à des coopératives de reprendre des commerces et de redynamiser ainsi la vie locale.

L’exemple de Montauban

À Notre-Dame-de-Montauban, des résidents ont aussi formé une coopérative de solidarité pour ouvrir une épicerie locale. «On a réussi à vendre 400 parts à 250$  chaque pour construire le bâtiment», explique Murielle Goupil, directrice de la Coop Saint-Ubald, qui s’occupe de la gestion de la Coop de solidarité multiservices de Notre-Dame-de-Montauban. «On a deux quincailleries, une épicerie, un poste à essence. Il est aussi prévu qu’une bibliothèque vienne s’installer ici. On embauche une dizaine d’employés, tous résidents de la région.» 

Les perspectives

Dans le cas de l’épicerie Lemay-Kinak cependant, la tâche ne s’annonce pas aussi aisée.

Serge Rouleau rappelle que «le magasin multiservices de Notre-Dame-de-Montauban est une halte sur une route très passante, tandis que l’épicerie Lemay-Kinak est située tout au bout d’une route, dans un cul-de-sac. C’est entre autres une des raisons pour lesquelles les propriétaires n’ont jamais trouvé d’acheteurs à ce jour».

Qui sait si ce nouveau type de gestion coopérative ne pourrait pas même amener à développer les services du magasin? Serge Rouleau n’entrevoit pas encore une telle perspective. «Le premier objectif, c’est de maintenir les services. À terme, on pourrait penser y ouvrir une quincaillerie. Mais il est évident que toute cette entreprise est un défi. Elle nécessite un taux d’utilisation à 50% de la part de ses membres.»