De la grève étudiante à l’événement Nous? se donne à lire un malaise profond de la société québécoise, comme une révolte du sens commun. Une brèche se dessine dans la toute-puissance du discours de la «nécessité», de la «bonne gestion» et du «développement».

Douze heures de paroles et d’idées pour dire le trop-plein et l’espoir à la fois, pour dénoncer les abus, appeler non pas seulement au changement, mais à une autre vision de ce pays, sinon du monde en général. Douze heures, c’est beaucoup mais peu à la fois pour dire la torpeur dans laquelle sommeille le Québec et dont on peut penser qu’elle cessera bientôt. Si.

La parole et la démocratie

Si le Nous qui a parlé hier de démocratie, de justice sociale et de solidarité, si ce Nous, donc, parvient à se mettre en marche. Les étudiants y sont déjà, à leur façon. Il coule dans les rues de Montréal une sève de contestation qui compense un peu pour nos érables à sec ce printemps. Et ailleurs au Québec aussi. Seulement, cet élan et ces appels qui s’abreuvent direct au chalumeau du Verbe engagé sauront-ils dépasser les emportements, pour percoler ce Québec encore et toujours non advenu?

Il est bien (et dommage que ce soit exceptionnel) que des gens de qualité défilent sur scène pour livrer textes, poèmes, harangues et dialogues (salut à Georges Leroux et Alexis Martin dans le rôle de Socrate dénonçant les tribuns médiatiques). Mais c’est encore sur une scène, un piédestal, une tribune d’autorité que s’est déployée cette parole, plaçant le reste des gens présents dans la position spectatrice, sans possibilité d’intervention. Comment renouveler fondamentalement notre démocratie si nous ne renouvelons pas aussi nos modes d’échanges et de discours? En ce sens, l’événement Nous? aura manqué une belle occasion de mettre en pratique des modes délibératifs innovants, ce en quoi l’Agora et sa station de réseaux sociaux auront été clairement insuffisants, notamment par l’absence d’un relai pour amener les interventions du public sur scène en direct. Il faut cesser de confondre les 5@7 mondains avec de véritables occasions de dialogue et d’échange…

La brèche dans la brèche

La prise de parole de Nous? aura véritablement été incarnée, en toute fin de soirée, quand un orateur impromptu sauta sur scène et livra un texte de son cru, écrit selon ses dires «dans les toilettes de l’événement». Résistant au maître de cérémonie, le jeune homme y alla d’une intervention aussi spontanée que sentie et qui lui valut une ovation debout de la salle. Un appel à la prise de parole, surtout quand on n’y est pas invité, qui aura donné son sens le plus profond à cet événement unique mais aussi un peu guindé et cadré.

Pour ceux qui pensent, comme beaucoup des gens qui sont montés sur scène hier, que notre situation commande une refondation de notre conception de la démocratie, il faudra réfléchir, au-delà des ajustements systémiques, aux termes d’une nouvelle culture démocratique. Sans conteste, celle-ci passera par une nouvelle éthique du dialogue et du rapport à autrui, par des espaces d’échanges égalitaires (sans statut ni estrade) où se construira une intelligence collective du vivre-ensemble.

L’esprit de bravade nécessaire pour contester non seulement l’ordre établi, mais aussi les conventions qui n’autorisent que certains à prendre la parole (où donc était le micro ouvert?), n’aura par personne été mieux incarné que par ce jeune homme dont il faut saluer le courage et l’authenticité.