Le dimanche 1 août, au Vieux Port de Montréal, des gens venus de partout se rendent dans les restaurants pour « bruncher ». En ce premier jour du Ramadan, Mustapha Sohayd, caché derrière les fours de cuisine, concocte des assiettes de bacon, creton, jambon et saucisses de porc fumées. Alors qu’il commence déjà à se déshydrater, dans la cuisine du restaurant, ses collègues lui souhaitent un bon ramadan. « Ramadan Karim Mustapha ! ».

Des restaurants ouverts vingt-quatre heures sur vingt-quatre, des crémières et des pâtisseries offrants leurs gourmandises en vitrine, des bars festifs, un rythme de vie effréné, le Québec offre un amalgame de tentations pour les musulmans qui consacrent leur énergie au jeûne du Ramadan. Cette interdiction de mettre quoi que ce soit dans la bouche pendant les heures de lumière et donc de chaleur devient un véritable défi lorsque cuisiner est son métier.

L'auteure de cet article est finaliste aux Grands prix du journalisme indépendant 2012Aujourd’hui résident permanent, Mustapha est à son cinquième jeûne depuis qu’il est arrivé au Québec en 2007. En plus de devoir pratiquer le ramadan tout le mois d’août avec l’odeur des frites et de la viande hachée sur le grill, le jeune Marocain de 27 ans doit le faire loin de sa famille. Même s’il s’est bien intégré dans la culture québécoise et comprend les différences entre les deux modes de vie, il se sent seul. « Je n’ai pas beaucoup de gens autour de moi pour m’encourager et me donner la force, s’essouffle-t-il. Je me sens fatigué mais je le fais quand même parce que c’est obligatoire pour les musulmans. »

Affamé, assoiffé et épuisé après avoir mis son corps à rude épreuve toute la journée, il se laisse transporter pendant 40 minutes dans les transports en commun mal aérés de Montréal. Il rentre ensuite chez lui, où il doit cuisiner son repas de rupture de jeûne. La tradition veut que ce moment soit rassembleur et gourmand, comme un repas de Noël pour les chrétiens. Mais depuis cinq ans, c’est pour lui comme célébrer Noël seul. « Il y a parfois les amis, mais ce n’est jamais suffisant », dit-il sur un fond d’amertume.

Cette tradition recommandée pour les fidèles du Coran n’est pas connue ni reconnue ici et cela, ses collègues ne tardent pas à le lui faire remarquer. Ils mangent et boivent allègrement devant lui, par habitude surtout. C’est avec un regard vide et le sourire endormi qu’il exécute son travail sans broncher. « Je serais fautif de leur demander de faire ça loin de moi. Même s’il fait très chaud dans la cuisine et que je ne peux pas boire d’eau, ca fait partie du défi et Allah me donne la force de continuer », admet le jeune homme, rieur de nature.

L’Islam au Québec

Selon l’imam Saïd Fawaz de la mosquée Al-Ummah-Islamiah de la rue Saint-Dominique à Montréal, la plus grande difficulté à pratiquer le ramadan au Québec est que la tentation est partout. « Chez nous, tout les restaurants sont fermés en journée et n’ouvrent qu’au coucher du soleil. De plus, nous pouvons célébrer les fêtes religieuses comme on le veut et pendant plusieurs jours. Il y a aussi l’appel à la prière qui ne dérange personne et les horaires de travail adaptés pour tous. »

Selon l’imam d’origine libanaise et résidant au Québec depuis trente ans, même si le Québec n’a toujours pas fait don de son âme, l’intégration de la religion islamique se fait bien. Selon lui, il y a une notion très présente de respect pour les autres cultures, en particulier à Montréal. « Nous n’avons pas de problème pour pratiquer ouvertement parce que nous n’allons pas dans l’excès et nous respectons les lois. C’est pour cela que les autres nous respectent je crois », affirme-t-il entre deux appels téléphoniques où il offrait des conseils religieux.

L’Islam avant le jeûne

Mis au courant de la situation de Mustapha et du fait qu’il doit cuisiner du porc et travailler en grande chaleur, l’imam hoche la tête en signe de compréhension. Même s’il s’est réconcilié avec la vue du bacon après 30 ans, il précise que c’est interdit. « On ne peut pas forcer les autres à suivre l’Islam à la lettre. Pour travailler ici et vivre normalement, il faut faire certaines concessions. Mais Allah est miséricordieux. Il pardonne », dit-il du ton rassurant. Et c’est d’ailleurs ce qui fait que Mustapha persévère. « L’Islam c’est l’Islam, et les gens ce sont les gens. On ne peut pas confondre les deux, explique Mustapha en faisant référence aux écrits sacrés. Nous avons des règles pour nous aider à vivre, pour servir Allah, mais après, Dieu comprend que nous ayons certaines contraintes à respecter. Le travail aussi c’est important. »

Certains diront que le jeûne est inhumain. Certes, il requiert une grande force intérieure. Mais quand une femme est enceinte ou a ses règles, le ramadan est proscrit. Si quelqu’un est malade ou a des malaises, il peut aussi rompre son jeûne pendant une ou plusieurs journées et les reprendre dans l’année. Cependant, cette année est particulièrement difficile parce que les 30 jours du ramadan occupent le mois d’août. Comme le calendrier musulman suit la lune et recule d’environ 11 jours par an, les prochains ramadans seront encore plus difficiles, car les grandes chaleurs du Québec, du Maghreb et du Moyen-Orient joueront contre tous, en particulier dans les cuisines