Vous croyez ne pas être en mesure de vous payer un grand costumier, un centre d’hébergement pour personnes âgées et un théâtre, tout en rénovant un cinéma de répertoire et un vieux bâtiment? Vous pouvez bien plus encore, grâce aux obligations communautaires.

Mieux connues chez nos voisins ontariens, les community bonds ou obligations communautaires, constituent plus qu’un simple levier financier. C’est une façon pour le commun des mortels de transposer ses valeurs de manière concrète dans des projets favorisant l’épanouissement de son milieu de vie, tout en bénéficiant d’un retour sur investissement. Pour l’organisme émetteur, il s’agit d’obtenir un accès inespéré à des capitaux privés tout en ancrant son projet au cœur même de sa communauté.

Ces titres de créances sont proposés sans intermédiaire et seuls les organismes à but non lucratif sont aptes à les émettre. Encore faut-il obtenir le capital de sympathie des prêteurs.

« Autrefois, on prêtait sur l’honneur avec une poignée de main », rappelle André Nadeau, président du Pôle d’économie sociale du Centre-du-Québec et du conseil d’administration du Centre l’Assomption, à Saint-Léonard-d’Aston.

« Quand j’étais chez Cascades dans les années 70, se remémore M. Nadeau, on avait sollicité les employés pour un projet spécifique. J’avais prêté 200 $ qui m’étaient revenus cinq ou six ans plus tard ».

La chose serait impossible aujourd’hui pour une entreprise privée mais le souvenir a refait surface au moment où les « irréductibles Gaulois » du canton (sic) se sont engagés à faire du centre d’hébergement qu’il préside un endroit où les personnes âgées pourraient couler leurs jours en paix, et ce, jusqu’à leur dernier souffle.

La bâtisse, vieille de 108 ans, a été cédée par les Sœurs-de-l’Assomption de la Sainte-Vierge dans les années 80. Les religieuses avaient alors accepté de se départir de l’établissement de quatre étages à condition qu’on y fasse des logements à prix modiques. Un groupe de citoyens a formé un organisme à but non lucratif afin de prendre le dossier en mains. M. Nadeau était de ceux-là. « En 2008, la maison se vidait. Les gens étaient malades et devaient trouver les soins et les services appropriés. Mais plus une personne âgée est déplacée, plus sa santé se détériore. C’est là qu’on a pensé à offrir des soins sur place

La force d’une communauté soudée

Une fois le scénario arrêté et les plans en tête, l’idée des obligations communautaires a été mise à profit. Les gens de ce petit village de 2300 âmes ont été sollicités afin de prêter 500 $ ou 1000 $ durant quatre ans sans intérêt. En cas de décès, il avait été décidé de retourner les sommes dues à la succession des prêteurs.

Le projet a si bien fonctionné que les administrateurs ont réussi à rembourser leurs investisseurs avant terme.

En deux mois, 31 000 $ ont été prêtés, soit le tiers du budget nécessaire aux travaux de réaménagement. Les organismes locaux de développement ont fourni le reste. « Toute la population savait ce qui se passait au Centre », rappelle M. Nadeau, qui a remis l’argent « main en main ».

Plusieurs citoyens ont décidé au final de faire don des sommes allouées. Pas moins de 8000 $ ont été recueillis de la sorte. Grâce à une association avec la Fondation communautaire St-Maurice, les administrateurs du Centre ont créé un fonds visant à placer ces montants en lieu sûr tout en assurant l’avenir du site. « On parle maintenant d’un projet d’agrandissement qui vise 20 unités de plus.»

Dans l'oeil du mentor (9)

Le Centre l’Assomption est le seul endroit au Québec à offrir un panier de services aussi complet, s’enorgueillit M. Nadeau. « Comme toute entreprise d’économie sociale, notre mission est de prendre soin de notre monde. Les obligations communautaires nous ont permis de le faire. Vous devriez voir l’atmosphère ici : c’est loin d’être un mouroir», clôt-il.

Un village nommé Montréal

En 2014, un comité de travail de l’organisme Territoires innovants en économie sociale et solidaire (TIESS) a lancé un projet-pilote pour mousser les obligations communautaires dans la métropole. Deux ans plus tard, quatre OBNL étaient soutenus pour développer des projets en ce sens.

Le Cinéma du Parc, qui accueille bon an mal an 160 000 amateurs de cinéma indépendant, a émis avec succès 200 certificats de 500 $, à des taux d’intérêt de 2 % sur une échéance de cinq ans. Les 100 000 $ ainsi amassés permettront de poursuivre les rénovations amorcées en 2013, année où Mario Fortin, pdg du cinéma Beaubien, a pris les rênes du site. « On a appris beaucoup, a indiqué M. Fortin le 31 janvier dernier, jour de la clôture des émissions d’obligations. On va répéter l’expérience. »

Le Grand Costumier, créé afin de sauver la collection de costumes de Radio-Canada, a lui aussi trouvé les appuis nécessaires pour restaurer les trésors inestimables abandonnés par la société d’État. Sur 20 investisseurs, le quart provenait du grand public.

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«C’est une façon vraiment concrète de s’engager, estime Marie Houde, directrice générale de cette entreprise d’économie sociale. Une dame de Terrebonne mordue de costumes m’a donné son échantillon de comptoir de marbre prévu dans la cuisine. Elle a décidé de retarder ses rénovations pour investir son argent dans notre projet. Quand on parle de créer une communauté de soutien… »

« Parfois, on se casse la tête avec des grosses stratégies mais il faut juste parler aux gens », rappelle Marie Houde.

Des battants à l’oeuvre

Chargée de projet au développement au Bâtiment 7, Judith Cayer participe à l’engagement populaire des résidents de Pointe-Saint-Charles et plus particulièrement du Collectif 7 à nous. L’histoire a débuté avec un premier drapeau citoyen planté en 2004 afin de préserver l’un des 12 entrepôts du chemin de fer Canadien National pour en faire un pôle local d’activités et d’expérimentations à caractère social, écologique et solidaire. Ce geste symbolique était la prémisse d’une mobilisation si exceptionnelle qu’elle a fait l’objet d’un ouvrage collectif et d’un documentaire.

Au vu des innovations initiées au fil du temps, participer à l’émission d’obligations communautaires coulait de source. Ici, pas moins de 50 000$ ont été amassés pour soutenir la phase de prédémarrage du chantier et une deuxième série d’émission est prévue en avril afin d’ajouter autour de 250 000$ de financement au projet.

« La ténacité et l’action collective, ça paye, soutient Judith Cayer. Il faut oser se tenir ensemble dans des collectifs même quand on n’est pas pareils. Ça fait de nous des géants. »

Dans Côte-des-Neiges-Notre-Dame-de-Grâce, l’équipe derrière le projet de rénovation du Théâtre Empress en appelle au soutien des citoyens du quartier et amoureux d’architecture pour revitaliser ce lieu emblématique datant de 1927 et lui épargner quelques graffitis supplémentaires. L’arrondissement accepte de céder le site pour un dollar à condition que le collectif réunisse tout le financement du projet. Une fois encore, l’idée d’émettre des obligations communautaires a séduit.

«Cette nouvelle avenue de financement vient compléter les montages financiers, parfois les solidifier, explique Vanessa Sorin du TIESS. Ça prouve que la communauté est derrière. Est-ce que ça se substitue à des subventions? Non. C’est une diversification.»

Depuis avril dernier, le TIESS a suivi l’expérience à la lettre afin d’épauler les organismes engagés dans le projet-pilote dans leurs démarches et évaluer à terme la pertinence et l’impact des obligations communautaires. Pour l’heure, un constat se dégage: la communauté doit être au coeur d’un tel processus.

Afin d’éviter que chacun réinvente la roue, le TIESS planche sur un guide qui réunira les meilleures pratiques en la matière, tout en indiquant quelques études de cas. L’ouvrage paraîtra au printemps.