Nouveau gouvernement, nouvelle politique de la ruralité à mettre en œuvre, grandes coopératives qui ont «oublié leur mandat initial», manque de soutien pour l’agriculture familiale: les défis ne manquent pas pour le Québec, si l’on en croit Claire Bolduc, présidente de Solidarité rurale du Québec (SRQ). Selon elle, la voie vers une société durable passe inévitablement par une plus grande autonomie des communautés. Celles-ci devront être prêtes à se mobiliser pour l’obtenir.

Claire Bolduc salue l’arrivée de Pierre Paradis au ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ). Ce parlementaire expérimenté a toujours été proche du milieu agricole. L’agronome félicite du même souffle la création d’un ministère dédié à la forêt, tout comme elle entrevoit d’un bon œil le fait d’associer les PME et le développement régional au sein d’une même entité ministérielle. La présidente de Solidarité rurale du Québec (SRQ) rappelle toutefois que son organisme doit conjuguer avec 14 ministères différents. Il faudra donc mesurer à l’usage l’impact du nouveau gouvernement sur le terrain. Déjà, le R pour «régions» du MAMROT est disparu. Les interlocuteurs du ministère des Affaires municipales et de l’Occupation du territoire devront faire sans.

Si la reconduction de la Politique sur la ruralité était une évidence – sa mise en place en 2002 a été jugée remarquable par l’ensemble des pays de l’OCDE – sa relance exigera une certaine vigilance et à ce titre, Solidarité rurale compte bien jouer son rôle de chien de garde. «Ça va prendre un contre-discours très fort pour contrer l’axe Québec-Montréal. La pression est énorme. Dans les circonstances, ça pourrait être facile d’oublier les communautés rurales, explique Claire Bolduc. Il faut bien nous comprendre: nous ne sommes pas en opposition avec les métropoles, mais il ne faut pas occulter la place que les régions doivent occuper dans la balance.»

Fini l’attentisme!

Militante de la première heure, Claire Bolduc voit en la politique sur la ruralité le parfait exemple d’une politique citoyenne, modulée et décentralisée. De la démocratie pure, mais qui nécessite davantage d’engagement de la part de tout un chacun. «Les intervenants du milieu des affaires, du tourisme, de l’agriculture et de l’éducation ont des missions qui s’entrecroisent mais ils ne se parlent pas.» Ce ne serait donc pas une question d’argent? «Ce qui compte, c’est la façon dont elle se joue dans les milieux pour trouver des projets porteurs. Regardez comment on met en valeur ces territoires-là! Si on réclame plus, on oublie l’essentiel: mettre en marche des collectivités.»

Bien que par le passé, le modèle coopératif ait fait ses preuves en dégageant des outils solides pour faire avancer la société, force est de constater que certaines institutions bien implantées ont oublié au fil du temps leur mandat initial. C’est du moins le constat sévère que dresse aujourd’hui la présidente de Solidarité rurale du Québec. «Que ce soit la Coop fédérée ou les coopératives de Montréal, l’enjeu des grandes coops, c’est de rester branchées sur leurs membres.»

Cultiver la différence

Du point de vue agricole, Claire Bolduc estime qu’il est grand temps de revoir nos modèles. «Les gens continuent à s’attacher à des critères très économiques.» En dépit du fait que l’année 2014 souligne l’agriculture de la ferme familiale, le Québec doit aspirer à une diversification des modèles. «La diversité est nécessaire et essentielle. Pour moi, le terme même d’agriculture familiale est énoncé en opposition à l’agriculture à grande échelle. C’est une agriculture différente en matière de production et de transformation. Ça peut être trois familles ou même trois associés qui n’ont pas de liens parentaux, mais qui font une agriculture proche des gens. De 1988 à 1990, 50 fermes disparaissaient chaque semaine au Québec. Aujourd’hui, les terres agricoles sont recherchées parce que c’est un bon investissement. C’est rendu que la Banque Nationale achète des lots. C’est inquiétant! On va laisser aller un actif comme celui-là ? C’est un patrimoine essentiel, martèle Claire Bolduc. Et la relève est là, mais elle fait de l’agriculture autrement.» La présidente de Solidarité rurale du Québec cite en exemple les Jardins de la Grelinette (Brome-Missisquoi) qui, avec moins d’un hectare en exploitation, réussit à générer 60000$ de revenu net par an (lire notre article, et notre dossier).

Le problème, c’est que les structures financières en matière d’agriculture privilégient la grande entreprise, qui s’approprie la majorité des budgets disponibles. «L’aide est mal dirigée. Pourtant, selon des données du MAPAQ, 42% des fermes du Québec génèrent moins de 50000$ brut par an. En région, c’est de 50 à 70% d’entre elles. Ça représente les trois quarts des entreprises agricoles québécoises!»

À l’international, la question des quotas fait couler beaucoup d’encre, indique Claire Bolduc. Ces mesures instaurées il y a une quarantaine d’années mériteraient qu’on s’y attarde. Chez nous, la Loi sur la protection du territoire agricole est primordiale pour assurer que nos terres ne fassent l’objet de spéculations au profit du développement immobilier, mais elle répond à des schémas d’une autre époque. Toutefois, certains réclament qu’on réfléchisse à l’idée de morceler des lots pour faciliter l’accès à la propriété pour les jeunes fermiers de la province. Pour plusieurs élus, le maintien du zonage agricole freine l’essor de leurs communautés. «C’est moins payant à court terme, mais c’est comme ça qu’on fait une société durable.»

Des citoyens en marche

L’agronome déplore le manque de leaders capables de pousser les gens à l’action. «Mon souhait pour les communautés? Des citoyens engagés, déterminés, courageux, délinquants parfois – pour bousculer certains conforts – animés par des leaders qui savent qu’ils n’ont pas toutes les réponses mais qui sont capables de trouver les idées de génie.» À bon entendeur, salut!