À l’aube du Sommet sur l’enseignement supérieur, la majorité des acteurs impliqués sont très pessimistes. Entre l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ) qui boycotte le sommet et la principale de McGill Heather Munroe-Blum qui le qualifie de «farce», plusieurs personnes se demandent si cette vaste consultation découlant du printemps érable ne sera qu’un coup d’épée dans l’eau. Le gouvernement semble avoir restreint ce vaste débat de société sur l’éducation au seul enjeu de fixer la tarification étudiante.

Vendredi dernier, le ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et des Technologies, Pierre Duchesne, a tenté de minimiser les attentes des Québécois. «Il n’est pas question, au moment où on se parle, de déclaration commune où tout le monde signe et tout ça, a-t-il déclaré à La Presse. Ce qu’on vise, c’est vraiment des discussions».

Ces discussions auront vraisemblablement lieu entre la Fédération des étudiants universitaires du Québec (FEUQ) et le gouvernement, croit le chercheur de l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) Simon Tremblay-Pepin. «Une seule chose est sûre, le gouvernement doit absolument s’entendre avec la FEUQ», estime-t-il. C’est pour cette raison que les propositions sur les frais de scolarités retenues en vue du sommet ne sont que le gel et l’indexation.

Ce dont le Sommet ne parlera pas

Plusieurs sujets, ayant suscité de nombreux débats au cours des derniers mois, ne seront pas à l’ordre du jour, même s’ils viennent de la base du Parti Québécois: la gratuité scolaire telle que vue par Jacques Parizeau , l’impôt post-universitaire évoqué par Bernard Landry ou encore le contrat de garantie proposé par Jean-François Lisée.

Les positions des partis d’opposition ne seront pas non plus discutées. «On ne voit au menu ni la modulation, qui est défendue par la Coalition avenir Québec, ni la gratuité scolaire, qui est défendue par Québec Solidaire, ni la hausse des frais de scolarité, défendue par le Parti Libéral du Québec, observe M. Tremblay-Pepin. Le débat se situe dans un espace assez restreint, entre le gel et l’indexation.»

Au menu du Sommet: comment indexer?

Si cette fenêtre est petite, surtout que l’indexation semble déjà avoir été choisie par le gouvernement, il faut d’abord s’entendre sur la façon d’indexer. «J’essaye de voir s’il faut indexer selon l’inflation, le coût de fonctionnement des universités ou selon la capacité de payer des ménages québécois», annonce le professeur en sciences économiques à l’UQAM Pierre Fortin, qui a été consulté par le ministère à ce sujet.

Simon Tremblay-Pepin, qui spécialise ses recherches sur le financement des universités, croit pour sa part que l’indexation est une drôle d’idée. «Faire suivre le coût de l’éducation au même rythme que celui des biens qui s’échangent sur le marché est absurde, dit-il. La formation universitaire n’est pas un bien de consommation puisque l’État en a le monopole. En indexant les frais de scolarité, on rend l’éducation monnayable au même titre que n’importe quel autre bien de consommation et en plus on contribue à augmenter l’inflation».

Si la thèse de l’indexation selon l’inflation n’est pas rejetée par M. Fortin, il préconise plutôt une indexation par rapport au budget de fonctionnement des universités. «Puisqu’il coûte de plus en plus cher de former un étudiant, il faudrait que la proportion payée par ce dernier dans sa formation reste la même, soutient-il. On pourrait même parler d’un gel relatif puisqu’il s’agirait d’un gel en pourcentage».

Discrimination économique

Bien qu’il reconnaisse que former un étudiant universitaire coûte plus cher qu’avant, M. Tremblay-Pepin ne partage pas du tout l’avis de M. Fortin. «C’est assez embêtant parce que les universités ne dépensent pas uniquement en formation, mais aussi en recherche, nuance-t-il. Les étudiants devraient-ils payer pour l’augmentation des budgets de recherche?» Pour lui, toute augmentation des frais de scolarité constitue une barrière qui fait office de discrimination économique. «En fait, ce que l‘on te dit, c’est que tu es trop pauvre pour aller à l’université», avance-t-il.

Selon M. Fortin, l’indexation est toutefois le seul moyen de prévenir des crises étudiantes comme celle du printemps érable. «C’est sûr que quand tu n’indexes pas les frais pendant presque 20 ans, il va y avoir quelqu’un qui va vouloir les augmenter de 30 ou même 80% comme c’est arrivé l’an dernier, rappelle-t-il. C’est sûr qu’à ce moment là, tout le monde lève les pattes et on tombe dans une crise.»

Une formule de financement controversée

Simon Tremblay-Pepin déplore que la formule de financement des universités ne soit pas discutée au Sommet. «C’est dommage, car on devrait s’y pencher puisqu’elle est problématique et qu’il y a moyen de s’entendre là-dessus», reconnaît-il. Le financement par «tête de pipe» a selon lui plusieurs ratés. «Cela rend les recteurs obsédés par la clientèle et crée une course à la publicité et aux nouveaux pavillons», critique-t-il.

Une course qui a du bon, croit à l’opposé M. Fortin. «Cette compétition entre les universités est très bénéfique, juge-t-il. Cela favorise l’accessibilité parce que les universités sont très intéressées à avoir des étudiants. Mais aussi, cela augmente la qualité de la formation de l’enseignement puisque les universités essayent de donner une meilleure formation que leurs concurrents.»

Cette formule de financement ne sera toutefois pas revue lors du Sommet sur l’enseignement supérieur. Tout comme il ne sera pas question de gratuité scolaire, de modulation des frais ou d’impôt post-universitaire. Plusieurs se demandent si les «discussions» espérées par Pierre Duchesne ne sont pas trop orientées pour que le Sommet débouche sur autre chose que l’indexation.

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