Le Sommet sur l’enseignement supérieur aura bel et bien été le sommet de l’indexation. Québec reste ferme sur la hausse d’environ 3%, indexée au «revenu des familles», alors que plusieurs autres débats sont remis à plus tard. La gouvernance des universités, la structure et le mandat du Conseil national des universités, l’offre de formation collégiale ainsi que l’aide financière aux études feront l’objet de «chantiers de travail». Le gouvernement espère ainsi clore le Printemps érable et éviter les crises à venir.

Le ministre Pierre Duchesne a réussi à maintenir un certain consensus au Sommet jusqu’à ce que la proposition d’indexation des droits de scolarité soit mise sur la table lundi soir. La présidente de la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ), Martine Desjardins, s’est alors lancée dans une tirade, choquée que l’éducation soit réduite à un produit de consommation. «J’ai un bac et une maîtrise: j’ose croire que ça vaut plus que l’augmentation d’un bête sac de chips», a-t-elle déclaré.

Québec lui a accordé un chantier de travail sur les frais afférents ou frais institutionnels obligatoires, mais n’a pas voulu reporter la hausse indexée des frais de scolarité.

Le fossé était trop grand pour attendre. «Le gouvernement a la responsabilité de trancher. C’est ce que nous avons décidé de faire», a déclaré la première ministre Pauline Marois dans son discours de clôture.

Pour le ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie, Pierre Duchesne, les «gels, dégels et surgels» plongent le Québec dans l’instabilité. «On ne peut pas se permettre, comme société, une crise à tous les cinq ou dix ans une crise, une grève générale sur le même sujet», a justifié le ministre.

Une hausse indexée à 3%?

Le gouvernement a choisi une formule d’indexation des droits de scolarité selon la croissance du revenu disponible des familles, qui a augmenté de 3% en moyenne au cours des vingt dernières années.

L’indexation selon le revenu disponible des ménages est l’un des trois scénarios proposés par l’économiste consulté par le gouvernement, Pierre Fortin. Il se situe entre l’indexation selon l’inflation ou coût de la vie, estimé à environ 2% en moyenne par année, et l’indexation selon le coût de fonctionnement des universités par étudiant à temps plein, estimé à en moyenne 3,5% par année.

Les droits n’augmenteront pas en fonction d’un taux fixe de 3% par année. Pauline Marois a précisé pendant le Sommet que l’indexation suivra la croissance du revenu disponible des ménages, plus élevée en période de croissance économique qu’en période de récession. «Ne vous étonnez donc pas si l’indexation est de 2,1 % une année et de 3,2 % la suivante», a expliqué la première ministre.

Pauline Marois a expliqué la hausse des frais de scolarité et les mesures de bonification de l’aide financière aux études. Voir la vidéo officielle de la clôture du Sommet, à 7m10s. Toutes les vidéos du Sommet sont accessibles sur le site du ministère.
Capture d’écran: Nicolas Falcimaigne

S’éloigner de la gratuité

Selon le gouvernement, l’indexation selon le revenu disponible des familles n’est pas une hausse au sens strict. «C’est une mesure qui s’appuie sur la réalité de la vie. Elle fait en sorte que la contribution des étudiants en dollars constants est prévisible», a expliqué Pauline Marois.

Les syndicats ont vivement réagi. «On est plutôt habitué à se faire imposer un gel quand on demande une indexation de nos salaires», s’est exclamé le secrétaire général de la Fédération des travailleurs et des travailleuses du Québec (FTQ), Daniel Boyer.

Citant le rapport Parent de la Révolution tranquille, il a regretté que le gouvernement s’éloigne du gel dans une perspective de gratuité scolaire. «On dirait que le gouvernement a fait des calculs pour arriver au résultat le plus élevé, a-t-il poursuivi. Il nous apparaît illogique de tendre vers le plafond, alors qu’on devrait tendre vers le plancher.»

Le ministre Pierre Duchesne a écarté du revers de la main l’idée de lancer un chantier sur la gratuité scolaire. «Je pense qu’il faut préserver ces idéaux, mais la capacité d’aller vers la gratuité n’est pas envisageable dans le contexte actuel.»

«Si ce n’est pas le bon moment, je ne sais pas ça pas ça va être quand», s’est désolé Daniel Boyer.

Le rapport Parent affirmait, il y a un demi-siècle, que la gratuité scolaire était «souhaitable à long terme». Ne pouvant être supprimés à court terme, les frais de scolarité n’avaient pas été indexés, afin de tendre vers la gratuité à long terme. Ils furent pour la première fois dégelés par Robert Bourassa au début des années 1990. Leur montant était alors de 581$.
Photo: Nicolas Falcimaigne

Vers un nouveau printemps?

La gratuité scolaire écartée d’avance, l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ) a décidé de faire entendre sa voix dans la rue plutôt qu’au Sommet. «Le gouvernement n’a jamais eu l’intention de tenir un véritable exercice de réflexion. Sous le faux prétexte d’impératifs économiques, ce Sommet sert plutôt à confirmer une nouvelle hausse des frais de scolarité, malgré l’opposition ferme de la communauté universitaire», a déclaré Jérémie Bédard-Wien, co-porte-parole de l’ASSÉ, par voie de communiqué.

Quelques milliers de personnes ont répondu à l’appel de l’ASSÉ mardi. Réunis au Square Victoria, ils ont marché en direction du centre-ville.

Étudiant au cégep du Vieux-Montréal, Boris Langlois s’est dit contre le Sommet et contre l’indexation. «Une indexation, c’est quand même une hausse et on se bat contre ça», a-t-il soutenu. «L’indexation m’insulte énormément. Je ne comprends pas que la gratuité scolaire soit inconcevable pour le gouvernement», a renchéri Léalie Ferland Tanguay.

Selon elle, le mouvement contre la hausse des droits de scolarité se remet peu à peu en marche. «Les gens encore mobilisés. Ils sont capables de réaliser un mouvement pour contrer cette hausse. L’indexation, ils l’ont sur le cœur», estime aussi Marie-Ève Desroches, étudiante en études urbaines à l’UQÀM. Mais pour Boris Langlois, un mouvement de l’ampleur de celui du printemps dernier est peu probable. «Les étudiants sont encore affectés par la grève, je ne pense pas qu’ils aient envie de recommencer», a-t-il expliqué.

Balles de neige et cavalerie

La manifestation était plutôt tranquille jusqu’à ce des balles de neige soient lancées vers les policiers. Peu après 16h, les policiers, accompagnés de plusieurs agents à cheval, ont chargé violemment vers les manifestants.

Le documentariste indépendant Moïse Marcoux-Chabot a suivi la brigade urbaine du Service de Police de Montréal (SPVM) avec sa caméra. Les charges violentes, arrestations et bousculades l’ont amené à se demander si la présence de cette brigade contribuait davantage à provoquer des tensions inutiles qu’à maintenir l’ordre public.

Brigade urbaine du SPVM, 26 février 2013, couverture vidéo captée et montée par Moïse Marcoux Chabot, documentariste indépendant, et diffusée sur son site, avec son aimable autorisation.
Capture d’écran: Nicolas Falcimaigne

La manifestation s’est soldée par 12 arrestations: quatre pour agressions armées, quatre pour attroupement illégal et deux pour méfait. Selon le SPVM, deux personnes avaient des cocktails Molotov en leur possession.

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