La Coalition pour la Constituante, auparavant connue sous le nom de Coalition des Sans parti, a obtenu, le 19 juin dernier, une reconnaissance officielle du Directeur général des élections. Déjà 45 candidats se sont montrés intéressés à porter les couleurs du parti. Dans un climat social très polarisé et avec une élection automnale anticipée, la formation d’un nouveau parti politique n’a pas tardé à susciter des réactions dans les milieux militants.

Le 4 novembre 1981, le premier ministre canadien Pierre-Elliot Trudeau choisissait de rapatrier, sans l’accord du Québec, la Constitution canadienne. René Lévesque refusant alors de signer le document, le Québec n’a, depuis ce temps, aucun appui constitutionnel pour justifier ses lois et ses institutions. L’idée de former une Assemblée constituante citoyenne qui aurait comme tâche de rédiger une constitution québécoise a fait surface en 2003 lors des États généraux sur la réforme des institutions démocratiques.

Le 22 mai 2012, plusieurs milliers de personnes se sont rassemblées devant le Parlement pour une autre grande manifestation mensuelle du printemps québécois. – Photo: Nicolas Falcimaigne

C’est pour offrir aux citoyens québécois une alternative qui tranche avec la propension électoraliste et la «ligne de parti» des groupements politiques conventionnels qu’a été formée la Coalition pour la Constituante. «L’engagement commun» est le document qui sert de programme au parti. Tenant sur une seule feuille, cette déclaration à laquelle adhèrent tous les candidats n’a voulu «présumer d’aucune opinion politique», selon Roméo Bouchard, directeur de la Coalition. Cette dernière ne se veut donc pas souverainiste ou fédéraliste, de gauche ou de droite.

La Coalition pour la Constituante désire présenter 125 candidats lors des prochaines élections générales. 45 personnes ont déjà annoncé qu’elles souhaitaient porter les couleurs de la Coalition aux prochaines élections provinciales. 21 candidatures ont été acceptées jusqu’à maintenant. Premier porte-parole national, Marc Fafard présentera sa candidature dans Duplessis. Il s’est fait entre autres connaître par le biais de l’organisation qu’il a fondée: Sept-Îles sans uranium.

Le candidat de Taschereau, François Tremblay, a porté les couleurs de la Coalition pour la Constituante, lors de la manifestation du 22 mai à Québec, en compagnie de plusieurs sympathisants. – Photo: Nicolas Falcimaigne

Si elle parvient à faire son entrée à l’Assemblée nationale, la Coalition pour la Constituante s’efforcera de créer, par l’adoption d’un projet de loi, une Assemblée constituante non partisane qui aura comme tâche de rédiger une constitution. N’importe quel citoyen qui souhaiterait siéger au sein de cette assemblée pourrait offrir ses services et la composition finale de la Constituante serait déterminée par des impératifs de représentativité (représenter tous les groupes d’âges, tous les domaines, tous les groupes sociaux) et de hasard (le choix final des représentants étant laissé au sort).

Une fois formée, l’Assemblée constituante entamerait une vaste consultation à l’échelle de la province pour recueillir les opinions et recommandations des citoyens sur ce que la nouvelle constitution devrait contenir. Durant ce temps, l’Assemblée nationale continuerait l’exercice du pouvoir de façon provisoire. Les gens de la Coalition pour la Constituante ont affirmé que leur parti serait dissout, advenant le succès de leur démarche.

Le 22 mai 2012, la rue interpelle la tour. – Photo: Nicolas Falcimaigne

Désirant se tenir à distance des tiraillements entre partis politiques, Marc Fafard a affirmé que sa «job doit être de rallier les gens». Soulignant le travail d’éducation et d’information qui restait à faire et disant espérer être apte à rejoindre les députés des partis conventionnels, il dit vouloir «parler aux hommes, aux femmes, pas aux partis». La campagne de communication de la Coalition misera sur les nouveaux médias. On peut déjà visiter la page Facebook ainsi que le site web de l’organisation.

Le bon moment?

On a vu ce printemps plusieurs centaines de milliers de québécois manifester leur désir de revoir en profondeur la structure de notre société. Est-il aujourd’hui légitime, devant l’ampleur de la mobilisation, de voir dans la Constituante une avenue pour poursuivre la démarche entamée dans le cadre du dit «printemps érable»?

Le 9 juin 2012, la manifestation nocturne rencontre l’anti-émeute de la Sûreté du Québec. – Photo: Nicolas Falcimaigne

On doit rappeler que, jusqu’à maintenant, toutes les initiatives visant à former une Assemblée constituante n’ont pas porté leurs fruits. L’ancien député de Mercier Daniel Turp a rédigé, en 2005, un Projet de loi sur l’assemblée constituante du Québec. M. Turp a aussi déposé un projet de Constitution québécoise devant l’Assemblée nationale en octobre 2007. Le Mouvement démocratie et citoyenneté du Québec (MDCQ) porte également l’idée depuis près d’une décennie.

Président des États généraux sur la réforme des institutions démocratiques ainsi que du MDCQ, Claude Béland prône une constituante depuis 2003. Il rappelle qu’à l’époque des États généraux, 82% des citoyens consultés s’étaient déclarés favorables à la rédaction d’un texte constitutionnel québécois. Si M. Béland appuie le discours du nouveau parti, il remarque toutefois que la formation de la Coalition pour la Constituante risque de «diviser les forces de ceux qui veulent atteindre le même objectif», celui de la réforme démocratique.

Claude Béland, président du Mouvement démocratie et citoyenneté du Québec (MDCQ), portait la bannière en tête de la grande manifestation du 22 avril. La formation de la Coalition pour la Constituante risque selon lui de «diviser les forces qui veulent atteindre le même objectif». – Photo: Nicolas Falcimaigne

Alors que s’en viennent à grands pas des élections générales qui pourraient être décisives pour l’avenir de la société québécoise, plusieurs espèrent voir les clameurs de la rue se répercuter au scrutin et provoquer une défaite du gouvernement en place. Claude Béland rappelle que «dans le mode de scrutin actuel, diviser le vote favorise manifestement le Parti libéral». Si la possibilité d’une prise de pouvoir par le Parti québécois laisse entrevoir une possible amélioration pour les citoyens et le territoire québécois, elle n’est pas toujours vue comme étant une panacée. Plusieurs leaders d’opinion qui se sont affichés, ce printemps, dans la rue aux côtés des étudiants, ont certaines réticences à formuler à l’égard du PQ.

Encore une fois, le 22 mai, ce sont des citoyens de tout âge et de toute condition qui ont arpenté les rues pour réclamer la démocratie. – Photo: Nicolas Falcimaigne

Denis McCready, réalisateur à qui on doit entre autres le documentaire Cherchez le courant, remarque que le Parti québécois, lors de ses années au pouvoir, a «démontré plusieurs des travers qu’on reproche au PLQ». Et si l’arrivée de certains candidats prometteurs, comme par exemple l’écologiste Daniel Breton, lui redonne espoir, il ne croit pas pour autant que le PQ doit être laissé bride abattue. Qu’on vote pour un parti conventionnel plus progressiste que celui au pouvoir ou pour la Coalition pour la Constituante (chose qu’il considère comme étant «une excellente option»), McCready affirme que les citoyens devront, avant tout, imposer les enjeux électoraux durant la campagne. «On doit reprendre le contrôle de la conversation politique», a-t-il lancé.

«Reprendre le contrôle de la conversation politique», sur la rue Saint-Jean, à Québec, le 22 mai. – Photo: Nicolas Falcimaigne

Devenu, par la force des choses, le porte-parole national des opposants à l’exploitation irraisonnée des gaz de schiste, Dominic Champagne renchérit en ce sens. Il estime que les électeurs doivent mettre la pression sur le Parti québécois et Québec solidaire qui sont tous deux «plus proches de leur parti que des citoyens». L’agenda citoyen doit être à l’avant-plan de la campagne à venir, dit-il: la réforme des institutions démocratiques et la protection du patrimoine collectif (richesses naturelles, services publics) doivent être des enjeux prioritaires, que les prétendants des différents partis le veuillent ou non. Champagne remarque que les luttes sociales ont, dans les derniers temps, éveillé une nouvelle fraternité dans la population. La priorité, pour le moment, est de trouver une synthèse qui, au-delà de la division traditionnelle gauche-droite, parviendra à rejoindre l’ensemble des citoyens. Pour lui, la Constituante, même si elle est une pièce maîtresse de la réforme future que nous devrons faire subir à notre société, n’est pas, pour l’instant, l’élément qui agira comme fédérateur du corps social.

Le 22 avril 2012, Dominic Champagne s’est adressé à la foule de 300 000 personnes rassemblées sur la Place des festivals à Montréal, en compagnie de Fred Pellerin et de Marina Orsini. «L’agenda citoyen doit être à l’avant-plan de la campagne à venir, dit-il: la réforme des institutions démocratiques et la protection du patrimoine collectif doivent être des enjeux prioritaires, que les prétendants des différents partis le veuillent ou non.» – Photo: Nicolas Falcimaigne

La présidente de Solidarité rurale, Claire Bolduc, apporte un point de vue éclairant sur l’élection à venir. Devant le manque de crédibilité des principaux partis et la concentration rampante du pouvoir, les électeurs doivent privilégier, selon elle, l’élection d’un gouvernement minoritaire. Remarquant que les gouvernements majoritaires qui sont en place à Ottawa et à Québec sont les artisans d’une «débâcle complète» de notre démocratie, elle soutient que «de toutes les options, nous seront mieux dans un gouvernement minoritaire». Prônant elle aussi une large participation citoyenne pour orienter les enjeux électoraux, elle estime que la formation d’une Assemblée constituante est une chose qui doit être proposée mais sans toutefois être imposée. La Constituante n’adviendra que lorsque l’ensemble de la société sera prête. Elle juge d’ailleurs que l’initiative est trop tardive pour être un enjeu électoral, même si elle doit être mise de l’avant. Désirant elle aussi mettre la pression sur les différents partis, Claire Bolduc attend le début de la campagne électorale pour demander aux candidats de prendre des engagements clairs en faveur de l’accès à l’éducation, d’une saine gouvernance territoriale et de la prospérité collective.

La veille du Grand Prix de F1, les forces de l’ordre ont tenté en vain de dégager la rue occupée par une foule composée de manifestants et de nombreux inconditionnels de la formule 1. – Photo: Nicolas Falcimaigne

Aussi, si dans la foulée de la grève étudiante, la mobilisation fut sans contredit une des plus importantes qu’a connu le Québec, il n’est pas certain que cette dernière se traduise par une ruée vers les urnes. Que les appuis aillent à la Coalition pour la Constituante ou aux principaux adversaires des libéraux, il faudra que la jeunesse se rende en masse aux bureaux de vote. Observateur privilégié de la grève étudiante, Dominic Champagne a remarqué que les jeunes semblaient, même après la mobilisation de ce printemps, peu enclins à voter. Il n’hésite pas à dénoncer cette habitude, bien implantée chez les jeunes, de bouder les scrutins. Aux dernières élections fédérales, 38% des électeurs canadiens âgés de 18 à 24 ans ont exercé leur droit de vote, contre 61% pour l’ensemble de la population.

La bannière de tête de la manifestation nationale du 22 mai appelait les travailleurs à s’unir aux étudiants. – Photo: Nicolas Falcimaigne

La façon de faire

La rédaction d’un texte national fondateur est un passage obligé pour un peuple qui cherche à se définir. Bien entendu, une constitution n’est qu’un vase vide et il appartient à chaque personne désireuse d’améliorer l’état des choses d’y contribuer. Tout est dans la façon de faire.

Pour assurer que le texte final soit réellement représentatif de la population, il doit être forgé dans un contexte inclusif où chaque citoyen a droit de cité. Connu pour son implication politique et sociale, l’auteur-compositeur-interprète Luck Mervil considère «qu’aucun parti politique n’a la légitimité» pour diriger le processus devant mener à l’adoption d’une constitution. Selon lui, cette dernière doit être l’expression de la volonté populaire. «Le peuple est souverain», dit-il. Premier ministre, ministres et députés ne sont que les fiduciaires du pouvoir réel qui appartient au peuple, à chaque citoyen sans exception. Il ajoute qu’on doit écarter la façon de faire qui a trop souvent prévalu dans le passé et qui a vu une poignée d’hommes appartenant à une caste privilégiée se saisir de l’avenir de tout un peuple.

Rencontre entre une manifestante et la caste privilégiée, la veille du Grand Prix de F1. – Photo: Nicolas Falcimaigne

Appuyant l’idée de former une Constituante, Mervil dit y voir l’occasion, pour tous les Québécois, de définir ensemble ce qu’ils sont et ce qu’ils souhaitent devenir. «La table est sale, a-t-il illustré en entrevue, et nous devons la nettoyer au complet». Le momentum qui a été créé par la mobilisation printanière doit être utilisé pour aller de l’avant. Le chanteur, qui a beaucoup voyagé, remarque que nous avons la chance, au Québec, qu’un chaos social ne se soit pas jumelé à la protestation. Certains pays qui doivent adopter une constitution pour refonder leur démocratie le font dans l’urgence, dans une ambiance tendue, voire carrément militaire. «On a la chance de pouvoir calmement s’entendre», dit-il.

Luck Mervil a pris la parole lors de l’assemblée d’investiture du candidat péquiste de Sainte-Marie-Saint-Jacques, Daniel Breton. «La table est sale, a-t-il illustré en entrevue, et nous devons la nettoyer au complet» – Photo: Nicolas Falcimaigne

Si le projet de Constituante semble peu à peu prendre sa place dans la population, le processus devant mener à l’adoption finale d’un texte constitutionnel ne fait pas l’unanimité. Luck Mervil doute que l’angle d’approche qui est mis de l’avant par la Coalition pour la Constituante soit réaliste. Selon lui, demander à l’Assemblée nationale d’adopter une loi pour revoir les règles du jeu est utopique. «Tu marche dans un système et tu lui demandes de s’autodétruire, ça va prendre 100 ans!», lance-t-il. Aux gens qui doutent de la pertinence de la démarche de la Coalition, son porte-parole Marc Fafard répond que de passer par le parlement est, selon lui, «la seule façon de procéder qui assure que la légitimité de l’Assemblée constituante ne soit pas contestée».

Lire aussi notre dossier sur la réforme démocratique.