Un jeudi soir de juin à Québec. L’air du printemps est doux, le soleil perce les nuages, je file sur mon vélo rencontrer Bruno Blais, l’un des pionniers fondateurs et aujourd’hui directeur général de la microbrasserie La Barberie, une coopérative de travail implantée à Québec depuis 1995.

La terrasse tout en verdure est tellement bondée de monde qu’il n’y a plus de places disponibles pour s’asseoir. Bruno Blais est à l’entrée de celle-ci, debout, dégustant une bière. Nous commençons l’entrevue, ou plutôt la conversation, en revenant sur l’un des questionnements soulevé par Bruno lors du dernier Forum coopératif tenu à Québec : « Qu’est-ce qui est le plus avantageux actuellement ? Donner du temps, du bénévolat, risquer de l’argent pour fonder une coopérative de travail, ou attendre qu’elle soit fondée, fonctionnelle et y adhérer ? »

Poser la question c’est bien sûr y répondre. En 1995, lorsque Bruno Blais, Mario Alain et Todd Picard ont fondé La Barberie, ils ont investi  beaucoup de temps, d’énergie et d’argent pour que ce projet d’entreprise collective voit le jour. Il ajoute que « ceux qui s’impliquent aujourd’hui ont exactement les mêmes avantages que ceux qui ont démarré le projet, ils sont copropriétaires d’une entreprise qui leur appartient, qui appartient à tout le monde ».

Force est d’admettre que cet aspect d’une coopérative de travail  n’est pas très séducteur pour quelqu’un qui songe à démarrer une entreprise. De plus, avec le fonctionnement actuel des entreprises collectives, le fondateur qui devient directeur général perd du même coup son pouvoir décisionnel puisqu’il n’a plus le droit de vote lors des assemblées de la coopérative qu’il a lui-même fondée. Bruno Blais lance l’idée qu’il pourrait y avoir des « supermembres » pour préserver les droits décisionnels des fondateurs d’une entreprise collective.

«On nous demande de partir des projets, d’investir de l’argent et après, quand ça fonctionne, de partager la richesse. C’est une optique importante pour moi, le partage de la richesse, mais si on veut encourager les jeunes entrepreneurs à démarrer une coopérative de travail, il faut leur fournir des ressources, leur faciliter les choses et c’est difficile au niveau du financement.»

«Il faut démarginaliser ce mouvement-là, poursuit-il, il existe 3 300 coopératives de travail, mais c’est stagnant, ça n’augmente pas. Actuellement, les gens vont systématiquement vers l’entreprise privée. » Selon lui, un modèle de coopérative de travail « revampé, amélioré est une solution entre les écarts toujours grandissants entre les plus riches et les plus pauvres. » S’il reconnaît la légitimité de l’entreprise privée, il précise que « seule la parité, l’équilibre entre l’entreprise collective et l’entreprise privée arrivera à donner un sens au terme “développement économique” ».

Sortir de la marginalité

Selon Bruno Blais, pour démarginaliser le mouvement coopératif , il faut commencer à l’interne. Actuellement, plusieurs coopératives de travail ne s’affichent pas en tant que tel, le public ne peut pas deviner qu’il s’agit d’une entreprise collective.
Il affirme « qu’il faut s’afficher, en être fier, il faut redonner la fierté aux coopérants. Si à l’interne on n’est pas convaincu, on ne pourra jamais convaincre les autres ».

Pour intéresser les jeunes entrepreneurs à choisir la formule coopérative, il faut aussi miser sur l’éducation. Bruno Blais fait sa part en allant donner des conférences aux étudiants en administration de l’Université Laval. Jusqu’à maintenant, cependant, tout au long d’une formation de trois ans, les étudiants n’auront eu que les deux heures de conférence de M. Blais pour apprendre ce qu’est une entreprise collective. En ce sens, il voit dans l’annonce de la création d’une  chaire en coopération (voir notre article en page 7), une bonne nouvelle pour le modèle coopératif : « c’est déjà un bon départ qu’il y ait des gens qui s’y intéressent et qui vont faire en sorte de le promouvoir. »

Bruno Blais soutient que « les coopérants doivent se mobiliser; on dit que la force du nombre fait avancer une cause, il est temps qu’on y vienne ».